Joanne Tremblay : L'enfance de l'art
Arts visuels

Joanne Tremblay : L’enfance de l’art

JOANNE TREMBLAY interroge avec intelligence le médium photographique. Pour sa part, GENEVIEVE CADIEUX aiguise nos sens avec ses clichés qui scrutent le corps humain. La photographie en question.

La photographe Joanne Tremblay, qui vit et travaille à Québec, commence à se faire connaître dans le milieu des arts visuels à Montréal. Lors de sa première exposition solo dans la métropole, en 1993, l’artiste avait déjà présenté des corps nus (en s’inspirant d’images du XIXe siècle). Tremblay est de retour, toujours chez Occurrence, en exposant cette fois-ci des photos de sa petite fille adoptive d’origine asiatique.

Voilà des ouvres bien intéressantes. Certes, tout comme dans les images de la photographe américaine Sally Mann (qui montre, elle aussi, le corps de ses filles), on peut percevoir dans cette enfance dévêtue l’illusion d’une innocence et d’une liberté brimée avec le temps.

Néanmoins, ces clichés questionnent avec intelligence le médium photographique. Celui-ci n’apparaît pas comme un simple résultat, mais plutôt comme un processus. Pour l’artiste, ces ouvres ont été certainement un moyen d’incorporer encore plus cet enfant à sa vie. Cette petite fille semble ravie du «jeu» auquel on l’a conviée.

Mais Tremblay utilise également la photo comme processus de création identitaire. Nous avons plusieurs identités auxquelles l’image photo est partie prenante. De la photo de passeport aux clichés de vacances, nos corps ont plusieurs manières d’être représentés. Cette exposition reprend cela. Ici se lit le sceau du passeport chinois de la fillette, là une écriture (incompréhensible pour les Occidentaux) se refuse à nous en dire plus sur cet enfant. Les autres images sont alors, avec toutes ces gestuelles, comme des jeux d’enfants, des promesses de toute une série de nouvelles identités possibles. Cette exposition s’intitule simplement Étitnedi, (identité à l’envers). Et, en effet, avec ses photos, Tremblay s’applique à reconstruire une identité sens dessus dessous.

Cette exposition a voyagé à Québec, à Toronto, à Paris, à Toulouse ainsi qu’à Mexico. Ce parcours a débuté en 1996 lorsque le centre Vu, à Québec, a proposé à l’artiste de présenter ses images deux mois après qu’elle fut accusée par les douanes américaines de produire du matériel pornographique infantile. Il faut dire que chez nos voisins du dud, certains politiciens républicains s’en sont aussi déjà pris aux photos de Sally Mann…

Jusqu’au 28 février
Galerie Occurrence

Geneviève Cadieux

Depuis sa participation à la Biennale de Venise, en 1990, Geneviève Cadieux est devenue l’une des artistes québécoises contemporaines les plus connues. A la Galerie René Blouin, elle expose deux nouvelles ouvres moins fortes que les photos troublantes de cicatrices ou de parties de corps (comme l’impressionnante bouche au-dessus du MAC) auxquelles elle nous avait habitués.

Dans la grande salle, on peut voir un triptyque intitulé Vague, composé de grands panneaux. Une femme et un homme se font face. Entre eux est placée une surface blanche. Comme souvent chez Cadieux, les sens sont ici conviés à l’extrême. Cette artiste a le don de rendre très présents les corps qu’elle photographie. La texture des cheveux de la femme, des poils du torse et des sourcils de l’homme, et même le grain de leurs peaux, tout cela à été finement rendu. La peau dénudée et le geste de la main de la femme (sur le corps de l’homme) éveillent le sens du toucher. Le tactile dépasse ici la main, et est relayé par le corps tout entier. L’ouïe, le goût et l’odorat ne sont pas non plus absents. La bouche entrouverte de cette femme est entre le souffle et le murmure. L’expression du visage de l’homme dit une écoute. Sa bouche goûte à cette main qui s’y appose. Son nez la respire.

Bien que les yeux clos des personnages pourraient en signifier l’absence, le regard lui aussi est convié. Depuis des lustres, des peintres, tout comme des écrivains et des philosophes sont passés par la négation de ce sens et par la cécité (même momentanée) pour le montrer à voir. On ferme parfois les yeux pour mieux revoir. Tout cela est d’un grand raffinement.

Cependant, cette opposition entre cet homme et cette femme (ne serait-ce que du fait que lui a le crâne rasé et elle est très chevelue), un peu simple, limite notre plaisir. Dans notre époque qui a retourné, de tous bords tous côtés, les identités sexuelles et sociales (ce qui revient peut-être au même), cela laisse paradoxalement en mal de sens. On perçoit un peu trop, dans tout cela, la reprise du thème de la difficulté d’échange entre les sexes (dont le panneau blanc en serait le signe). Bien sûr, les poses affectées (voulues par l’artiste) disent un désir de rejouer à l’extrême des gestuelles émotionnelles connues. Mais on ne sent pas suffisamment le retournement critique que ce sujet ancien demande et promet.

Dans la petite salle, Dilectio («amour» en latin) poursuit cette réflexion sur le sentiment amoureux. Sur le mur est inscrit un extrait des Confessions de saint Augustin. Il s’agit d’une phrase riche de sens où discours amoureux et discours religieux s’interpénètrent d’une manière fructueuse. On en redemande. Mais, comme tout amour, cela nous laisse sur notre faim. Jusqu’au 27 février. Galerie René Blouin

Trompe-l’oil
Encore de nos jours, le public attend souvent que l’art offre une imitation du monde visible. Dans Des ombres portées, des peintres se servent du photographique pour jouer de cet effet. Mais loin de produire une peintures réaliste, cela donne un art très construit et très réfléchi. On remarquera en particulier La Grille (époustouflante) de Rafael Sottolichio; Faste et vid, de Martin Bureau (qui porte un regard critique sur les espaces d’exposition); les ouvres très maîtrisées de Paul Béliveau; ainsi que Gravité o, de Dominique Gaucher (que l’on préférera à Action figure qui fait un peu trop penser à Mark Tansey). Jusqu’au 28 février. Maison de la culture Côte-des-Neiges

JEAN-LOUIS Émond

A l’Espace Trois, lieu d’exposition des professeurs de l’École des beaux-arts du centre Saidye Bronfman, Jean-Louis Émond présente des sculptures intéressantes, dont une en particulier qui retient l’attention. Itinéraire imprévu (qui donne son nom à l’exposition) est composée d’un globe terrestre qui se métamorphose en une cage pour des chaussures. C’est comme un monument à ceux qui ont parcouru le monde. Émond se préoccupe du corps en train de marcher, courir, sauter… Et, du coup, on se retrouve soi-même à repenser à l’importance de telles activités dans notre vie quotidienne; comment marcher est, par exemple, un extraordinaire moyen pour réfléchir. Jusqu’au 28 février. Espace Trois au centre Saidye Bronfman