Peter Krausz : Espace-temps
Arts visuels

Peter Krausz : Espace-temps

Au Musée d’art de Joliette, PETER KRAUSZ a regroupé une vingtaine de tableaux. Sous un thème a priori léger, le peintre explore les profondeurs du temps et de l’espace. Le paysage comme catastrophe naturelle.

Né en Roumanie, Peter Krausz vit au Québec depuis 1970. Artiste multidisciplinaire, Krausz a produit plusieurs ouvres, dont des installations ayant une valeur politique. On se rappellera, par exemple, Ciel de plomb, présentée à la Galerie Leonard et Bina Ellen à l’Université Concordia, en 1996. Un mur entier était recouvert de panneaux de plomb sur lesquels étaient inscrits des dates et des lieux se rapportant à toute une série de persécutions subies par les juifs.
Ces jours-ci, Krausz expose une vingtaine de paysages au Musée d’art de Joliette. Parmi ceux-ci, on peut encore voir un exemple qui renvoie explicitement à cette volonté de dénoncer la banalisation dans laquelle de tels crimes sont maintenant trop souvent tombés. L’Île devant Chinon, de 1986, est là pour nous rappeler comment cette réflexion sur le paysage est liée à des préoccupations relativement à l’histoire et, surtout, à la perte de mémoire. Dans ce tableau, le premier plan est largement occupé par le lieu du bûcher où les juifs étaient exécutés au Moyen-Âge. Pourtant peu d’éléments, sinon le vide du sol inhabité (et presque déserté), viennent nous dire toute l’horreur qui s’y est déroulée.

Outre cette ouvre, les deux salles du musée sont principalement occupées par de beaux paysages sans aucun personnage et avec très peu de signes de vie humaine. Dans ces peintures, au premier regard, nulle trace de questionnement sur l’histoire ou sur l’humanité. Le titre d’une série, réalisée en 1998, est cependant une piste possible. Huit tableaux s’intitulent Bréviaire méditerranéen. Mais qu’est-ce qu’un bréviaire? Ce mot, qui a une connotation religieuse, ne sert pas uniquement à désigner un livre de prières, mais aussi un ouvrage contenant un enseignement indispensable.

Que doit-on apprendre du paysage? Quelle leçon essentielle en tirer? Comme à la Renaissance – époque où, pour la première fois, on utilisa le terme «paysage*» pour désigner un tableau: Tempête de Giorgione -, s’agit-il de voir dans la nature une structure exemplaire? En est-on encore là? Certes, l’écologie nous a appris à nouveau à être émerveillé devant la complexité et l’unité de fonctionnement des organismes et des êtres composant le monde qui nous entoure. Mais Krausz (heureusement) ne nous parle pas vraiment de cela.

Dans son travail, le paysage est plutôt le signe de la disparition des civilisations. De ce point de vue, le Bréviaire méditerranéen no2 est certainement le plus réussi. D’ailleurs, en entrant on est tout de suite frappé par ce fascinant pan de mur recouvert d’une multitude de petits tableaux. Krausz y reprend, dans son accrochage, la «géométrie d’un mur qui enchâsse une collection de pierres antiques dans l’église Santa Maria de Trastevere à Rome». La nature semble ici à l’image du temps, qui est capable de tout effacer. Chaque vue semble du coup renfermer un reste de l’Antiquité grecque ou romaine que lentement elle fait disparaître. Bien intéressante aussi est cette vitrine remplie de petits panneaux peints qui font penser à des fragments de fresques (pompéiennes?) conservés par un collectionneur.

Souvent, dans les ouvres de Krausz, la nature est présentée comme une force sourde, extrêmement pesante, capable de tout engloutir. Ses panneaux nous montrent des espaces imposants vus de très loin. Leur démesure est écrasante. L’artiste utilise judicieusement des formats très allongés (et qui auraient pu l’être encore un peu plus pour accentuer cet effet d’étendue incommensurable).

Cependant, parfois, tout cela a un aspect légèrement trop esthétique, et trop bien encadré. Pour celui qui aura compris l’enjeu de ce dispositif, cette «esthétisation» sera le signe d’une vanité, d’un déni de la mort, ou du passage du temps. D’autres risquent de passer à côté de la richesse du propos, pour ne voir que de beaux paysages et une belle nature. Et cela, même si on a le sentiment que l’artiste souhaite souligner ce danger.

Finalement, le Musée a eu la bonne idée de demander à Peter Krausz, qui fut aussi conservateur et directeur de la galerie d’art du Centre Saidye-Bronfman, de redevenir commissaire pour l’exposition Un artiste choisit, Fenêtre sur le paysage. Grâce à une trentaine d’ouvres tirées des collections du Musée, on peut parcourir 500 ans d’histoire de ce genre pictural. Un bien beau catalogue produit en collaboration avec la Galerie de Bellefeuille et la Galerie Mira Godard de Toronto, accompagné d’un texte de la conservatrice Denise Roy, permettra de poursuivre cette réflexion sur le paysage.

Jusqu’au 18 avril
Musée d’art de Joliette
1(450)756-0311

Textiles pré-industriels
Vous avez jusqu’à dimanche pour aller voir Tapas Textiles des mers du Sud, au Musée Marsil à Saint-Lambert. Installé dans une petite maison datant du dix-huitième siècle, le Musée Marsil, fondé en 1979, s’est spécialisé dans les costumes et les textiles en général. Fabriquées dans les îles du Pacifique, les tapas sont des étoffes obtenues à partir des fibres de l’écorce du mûrier, du figuier ou de l’arbre à pain.
Organisée en collaboration avec le Musée Redpath de l’Université McGill et avec Colleen Parish comme conservatrice invitée, cette exposition n’est peut-être pas spectaculaire; néanmoins, la présentation simple est impeccable. Plusieurs panneaux explicatifs donnent des informations intéressantes sur la fabrication et l’utilisation de ce tissu. On peut même toucher à un exemple de tapa. Pour un public spécialisé avant tout, bien que certains néophytes y trouveront aussi leur compte.

Jusqu’au 4 avril
Musée Marsil de Saint-Lambert
(450)923-6601

Colloque art et psychanalyse
Le colloque sur l’art et la psychanalyse, organisé par la revue Parachute, se tiendra au Centre canadien d’architecture les 9 et 10 avril. Cet événement intitulé Sur ma manière de travailler réunira des artistes, des critiques d’art ainsi que des psychanalystes. Le thème fait référence à une lettre de Diderot envoyée à l’impératrice Catherine II de Russie. On a bien hâte d’entendre, en ouverture, Chantal Pontbriand répondre à la question (essentielle) «Qu’avons-nous en commun?». Y seront présents: le sculpteur Gilles Mihalcean, l’artiste Massimo Guerrera, le cinéaste Pierre Hébert, l’historien d’art Michael Stone-Richards ainsi que plusieurs psychanalystes tels que Gérard Pommier, Claude Dumézil, Simon Harel, Lise Monette… Info: 842-9805