Le Corps de la ligne : Les temps modernes
Arts visuels

Le Corps de la ligne : Les temps modernes

DANIEL LANGLOIS inaugure son Complexe Ex-Centris avec une centaine de dessins d’Eisenstein. Une exposition surprenante qui donne une image nouvelle et plus vivante du célèbre cinéaste russe.

Dans le tout nouveau Complexe Ex-Centris, boulevard Saint-Laurent, on peut voir une très belle exposition de cent dessins du cinéaste russe Eisenstein. Celle-ci est proposée par la Fondation Daniel Langlois qui, comme on le sait, est le fondateur de Softimage. Certains trouveront peut-être qu’une présentation de dessins anciens est une manière bien conventionnelle de lancer les activités d’une fondation dédiée à l’art, aux nouveaux médias et aux nouvelles technologies. Langlois justifie ce choix en expliquant que «les grands artistes qui travaillent avec les médias dits nouveaux, le font la plupart du temps en puisant leur inspiration dans des formes d’art classiques».

Ce qui est sûr, c’est que cette exposition intitulée Le Corps de la ligne a le grand mérite de nous donner une image nouvelle et plus vivante du célèbre cinéaste russe, dont on a fêté l’an dernier le centenaire de naissance. Eisenstein fait maintenant partie de notre imaginaire collectif, de ce que l’on nomme la Culture. Et à ce titre, il est devenu (avec Gance, Griffith, Stroheim) un monument de l’histoire du cinéma. Certaines scènes de La Grève , ou du Cuirassé Potemkine, comme le célèbre massacre des escaliers d’Odessa, hantent les cinéphiles depuis trois quarts de siècle.

À travers des dessins préparatoires (par exemple pour des costumes), le travail d’Eisenstein retrouve une certaine contemporanéité. Les films qu’il a créés ne sont plus nécessairement des ouvres anciennes mais redeviennent plutôt des projets en cours de réalisation comportant des choix esthétiques et idéologiques à faire. L’aspect étonnamment caricatural (presque bédé) de certaines esquisses crée aussi un lien entre ce que l’on considère habituellement comme de la grande culture et la culture plus populaire.

Est-ce parce que l’Union soviétique n’existe plus, qu’une relecture moins figée de son travail est rendue possible? Les études gaies ont, par exemple, offert depuis quelques années un regard bien différent sur la production de ce cinéaste. Et la plupart des ouvres présentées, non clairement liées à l’activité cinématographique d’Eisenstein, ouvrent un nouveau champ d’étude.

La sexualité y a en effet une place prépondérante. On peut y cerner un homoérotisme à la Cocteau. La ligne du dessin semble courir, voltiger, caresser les contours des formes anatomiques. Danseur au serpent Harlem ou bien la série représentant saint Sébastien (et d’autres hommes aux imposantes cages thoraciques transpercées de flèches) en sont de bons exemples. D’autres croquis montrent des êtres androgynes. On peut voir, dans Drag New York, trois travestis qui se toisent en prenant des attitudes. La série Les Coquins de Windsor représente la reine Élisabeth Ire les jupes relevées, en compagnie de plusieurs hommes en érection. Ici une Ste Dalile patronne des barbiers coupe les cheveux d’un homme pendant que celui-ci lui suce un sein. Là, dans Le Pardon, un taureau crucifié (dans une scène à la limite du sadomasochisme) embrasse goulûment à pleine bouche son toréador. La religion se mélange souvent à la sexualité. Très intéressante et bien surprenante donc, cette exposition présentée par le commissaire (et directeur des programmes de la fondation) Jean Gagnon.

On lui reprochera cependant une présentation peu recherchée. Les cartons identifiant les dessins sont placés tellement bas qu’il faut quasiment se mettre à genoux pour les lire. En entrant, des écrans vidéo grand format montrent des films du cinéaste. Mais, pour les regarder, les spectateurs se retrouvent, faute de sièges, à devoir s’asseoir par terre dans le couloir.

On pourra se procurer le catalogue de l’expo sous la forme d’un bien intéressant cédérom (nouvelle technologie oblige). Signalons qu’une conférence portant sur la pratique graphique d’Eisenstein sera donnée par Annette Michelson (cofondatrice de la revue October) le dimanche 2 mai à 15 heures.

Jusqu’au 16 mai
Complexe Ex-Centris (3536, boulevard Saint-Laurent)

Vie et mOours occidentales
Dans la petite salle du Centre des arts actuels Skol, il y a une simple mais bien intéressante vitrine ouvre de l’artiste Jérôme Fortin. Cela ressemble à une présentation de musée d’anthropologie. Au premier regard, on dirait des coiffes, bijoux et autres amulettes d’une tribu d’Amérique du Sud.

Et puis on s’aperçoit, en s’approchant, qu’il s’agit en fait de capsules de bouteilles, de cartons d’allumettes, de bouchons, de bouts de ficelles, de fils pour appareils électroniques, et de clés. C’est comme une anthropologie occidentale. Notre propre environnement, notre quotidien deviennent étrangers. Tout cela a un petit côté dadaïste. En regardant cette vitrine, on se demande ce que connaîtra le futur (disons dans cinq mille ans) de notre société. Nos déchets déjà enfouis et prêts à être déterrés seront-ils matière à spéculations? Très fort visuellement.

Jusqu’au 25 avril
Galerie Skol

L’art du goût
À la galerie Dare-dare, l’artiste Christine Lebel propose une installation bien drôle intitulée Je serai… ta cocotte. Il s’agit d’une exposition qui se dévore… Sur un échafaudage trônent des morceaux de corps moulés comme bien des sculptures. Mais dans ce cas cette statue n’est pas faite de bronze ou de marbre mais de chocolat… Sur une table, dans des boîtes, se trouvent des petites figurines prêtes à être consommées. Une odeur très entêtante de chocolat emplit l’espace de la galerie. De quoi nous faire fondre. Le tout a été réalisé en collaboration avec la chocolaterie belge Heyez.

Dans le travail de Lebel, les liens entre sexualité, oralité et nourriture sont développés avec justesse. Un extrait de Nana de Zola, affiché sur un mur, poursuit cette idée du corps désiré prêt à être dévoré. De plus, l’ensemble de la galerie, recouverte ici et là de tissus roses, fait penser à un magasin de lingerie féminine ou à un sex-shop. Des petites cartes (elles aussi roses), avec un numéro de téléphone à utiliser «en soirée», laissent même entendre que tout cela se réfère à un commerce encore moins public… On passe alors de la cocotte en chocolat à la cocotte-minute (qui vient rapidement sur appel). Amusant.

Jusqu’au 25 avril
Galerie Dare-dare
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