François Yordamian/Les Feux de l'Amour : Mon Amérique à moi
Arts visuels

François Yordamian/Les Feux de l’Amour : Mon Amérique à moi

Avec son «étalage vidéographique», FRANÇOIS YORDAMIAN propose une spectaculaire cacophonie visuelle qui reproduit les tics et les travers de l’Amércain(e) moyen(ne). La vie est un soap tranquille.

Le travail que l’artiste François Yordamian présente à l’Espace Vidéographe tient presque de l’étude sociologique. Il a passé douze mois à regarder le soap The Young and the Restless et a tenu un répertoire de ses différentes activités et gestuelles.

L’an dernier, dans le cadre de l’exposition Condition légale (organisée par Mathieu Beauséjour), à la Galerie Articule, on avait déjà pu voir un premier montage de ce vidéo. Cette fois, le déploiement de ces images sur une vingtaine d’écrans dans la galerie est totalement spectaculaire. C’est une cacophonie visuelle de tous les tics corporels les composantes de cette télésérie. «Pour réaliser neuf mois de soap opera, il faut: pleurer 94 fois, […] se serrer 45 fois la main, s’asseoir 557 fois, […] tousser 13 fois, se donner 21 claques, ranger 33 fois, allumer ou éteindre 10 fois la lumière, regarder 15 fois une image, se toucher 15 fois le cou, faire l’amour 32 fois, taper 20 fois sur un clavier, ne faire rien 452 fois.»

Il s’agit presque d’un répertoire des activités habituelles (et idéales?) d’un Américain moyen. À moins qu’il ne s’agisse de l’Américaine moyenne, puisque 69 % des spectateurs sont des femmes. Toutes ces activités ont quelque chose de rassurant. Rien de très étrange, rien de très excessif non plus (en tout cas pas sexuellement). Certes, on y parle beaucoup au téléphone (519 fois), on y tire souvent la langue (460 fois) et on y boit (383 fois) plus qu’on n’y mange (82 fois)… Bizarrement, ce montage d’extraits produit un son répétitif et saccadé qui fait penser à la trame sonore d’ébats amoureux dans un film softporn. Message subliminal?

L’artiste a eu la belle idée de proposer au magasin Future Shop (au 470, Ste-Catherine Ouest) de diffuser ce vidéo sur 120 écrans. À certaines heures de la journée, dans la salle des télévisions, on peut donc savourer les le montage de Yordamian. C’est une intéressante tentative pour rejoindre le public qui, malheureusement, passe presque inaperçu. Mais cela n’enlève rien à la valeur de cette création analytique.

Jusqu’au 22 mai
Espace Vidéographe (et magasin Future Shop)

Le corps révolté
Pour le second volet d’Amour-Horreur la conservatrice Gail Bourgeois a invité une dizaine d’artistes provenant d’univers et de pratiques artistiques très différents. Parmi les ouvres présentées, on retiendra en particulier les photos de la Montréalaise Fabienne Lasserre, qui à elles seule, pourraient servir d’emblème à toute l’exposition. Attirants et terrifiants, à la fois, ces gros plans de sexes de femmes percés d’anneaux auxquels est accrochée toute une série d’objets: cela va du pistolet au marteau en passant par la paire de ciseaux… En regardant ces images, à ces lèvres on est nous aussi suspendu se demandant jusqu’où ira la photographe. Les pratiques masochistes de Bob Flanagan ne sont pas loin.

Étouffantes également, les deux sculptures de Penelope Kokkinos (qui vient d’Ottawa). L’une montre un immense berceau étiré vers le haut et qui ressemble à une prison avec des barreaux. L’autre est une chaise haute elle aussi déformée et qui atteint presque un lampadaire aveuglant accroché au plafond. C’est digne de l’interrogatoire de police dans les films noirs. Les dimensions gigantesques de ces objets refont de nous, spectateurs, des êtres tout petits. Est-ce une manière de nous faire revivre la démesure du monde que les enfants perçoivent? Troublant.

Cindy Stelmackowich (de New York) utilise de simples collants. Certains sont étirés en hauteur et en largeur par des poids. On dirait un test de résistance et de souplesse avant une mise en marché. Comme si l’artiste rendait aux collants ce qu’ils font subir aux femmes. Amusant.

Intéressant visuellement, mais malgré tout un peu simple, le Penis Serratus de Karen Thornton (de Chicago). Ce phallus dentelé a de quoi en scier plus d’un. Composée d’un couteau et de boules chinoises suspendues par des ressorts, cette transposition des organes génitaux masculins est bien loin de l’homme rose contemporain. Est-ce la bonne manière de s’attaquer à la représentation du pouvoir? Qui a besoin d’une masculinité si dure et si agressive? À leur époque, les formes molles et dégonflées (comme une peau vidée de ses organes) construites par Claes Oldenburg – on pense, par exemple, à la colonne, à l’obélisque et l’arc de triomphe de Soft Architectural Fragments – représentaient une approche plus efficace dans la critique des symboles de l’autorité.
Cette exposition est complétée par plusieurs sites Internet (auxquels on accède en passant par l’adresse de la galerie //www.lacentrale.org). Jusqu’au 30 mai. La Centrale.

Hypnotisme sonore
Au Musée d’art contemporain, Noise Gate, l’installation extrêmement troublante de Granular Synthesis (le duo d’artistes autrichiens Kurt Hentschläger et Ulf Langheinrich) est à voir.

Dès l’entrée, on est déstabilisé. Un avertissement indique que «l’intensité sonore et visuelle peut indisposer certaines personnes»! Plongé dans le noir on a du mal à mettre un pied devant l’autre. Puis, on arrive dans un immense espace avec trois murs recouverts de gigantesques écrans vidéo. Un visage en gros plan s’y répète six fois. L’image vibre, parfois avec une pulsation ultra-rapide. Elle n’est pas la seule. Le son créé est tellement fort que le corps du spectateur tremble lui aussi. Ce n’est cependant pas si agressant qu’on pourrait le croire. Malgré que cette installation est présentée comme étant une «réflexion sur l’isolement, la captivité et l’aliénation de l’homme», ce dispositif arrive à nous hypnotiser. Il faut dire que tout cela (l’espace, les écrans, la musique presque sérielle et en même temps proche de la techno, le son tonitruant) fait beaucoup penser à un rave. De plus, on y sent un petit côté science-fiction plutôt familier. Ce visage se détachant sur un espace parfois très blanc n’est pas sans faire penser aux scènes finales de 2001: Odyssée de l’espace. Au bout d’un certain temps, c’est presque apaisant. Comme le bruit des vagues se fracassant sur des rochers. À voir pour l’expérience bien particulière. Jusqu’au 16 mai. Musée d’art contemporain.

Geste de solidarité
Signalons qu’au Centre Pierre-Péladeau, 42 photographes exposent (et font don de leurs ouvres) afin d’aider les personnes atteintes du VIH/sida. Cela s’intitule Poser un geste. Parmi les artistes participant à cette action collective, notons la présence de Josée Lambert, Serge Clément, Andréa Szilasi, Gabor Szilasi… Un encan au profit de la Fondation Farha aura lieu le 22 mai, de 16 h 30 à 18 h 30. Comme l’indique le communiqué de presse, on espère que la générosité des artistes sera contagieuse. Jusqu’au 21 mai. Au Centre Pierre-Péladeau.