Rétrospective Pierre Ayot : Art de vivre
Arts visuels

Rétrospective Pierre Ayot : Art de vivre

Malgré quelques faiblesses, l’oeuvre de PIERRE AYOT recèle une leçon politique exceptionnelle sur la fonction de l’art dans la société. La rétrospective de son oeuvre, au Musée des beaux-arts, exprime son désir de démocratiser l’art en le rapprochant de la vraie vie et du quotidien.

Est-il besoin de présenter Pierre Ayot? Cet artiste, prématurément décédé à la suite d’un accident de voiture en mai 1995, est bien sûr connu de tout le milieu de l’art québécois. Rappelons tout de même quelques éléments de sa biographie et, en particulier, de ses débuts pour en souligner le caractère exceptionnel.

En 1966, à l’âge de 22 ans, il fonde l’Atelier libre 848 devenu par la suite le renommé Centre de conception graphique Graff, qui, encore à l’heure actuelle, est un des plus importants lieux de recherche en gravure au Canada. Deux ans plus tard, il devient professeur à l’École des beaux-arts, tout en poursuivant son travail de créateur pour lequel il obtient rapidement une reconnaissance de la critique.

Fulgurant commencement de carrière pour ce jeune homme qui, dès ce moment – avec quelques autres, dont Serge Lemoyne -, fut l’une des forces vives du milieu. La rétrospective de son oeuvre qui vient de s’ouvrir au Musée des beaux-arts de Montréal est donc plus que justifiée. Elle permet de lui rendre hommage. Et de faire le point sur un pan important de notre histoire culturelle à travers l’un de ses principaux acteurs.

Bien sûr, puisque l’heure est au bilan, le spectateur est en droit de se demander quelle est encore maintenant la pertinence de son univers formel. Visuellement, certaines pièces du début, plus proches du pop art – mouvement qu’Ayot a heureusement vite dépassé -, ont un peu vieilli. Le magnétophone à ruban inclus dans telle pièce – ainsi que bien d’autres références au monde moderne "de l’époque" – ne parle certainement plus au spectateur avec la même intensité, avec le même effet de présence. Son travail se répète souvent, jouant finement, mais aussi parfois trop systématiquement, sur l’écart entre la réalité et sa représentation. Toutefois, à la défense de l’art d’Ayot, il faut dire que cette question du trompe-l’oeil est tout de même l’incontournable problématique de l’art depuis l’Antiquité…

Malgré ces quelques réserves, l’oeuvre de Pierre Ayot recèle une leçon politique exceptionnelle sur la fonction de l’art dans la société. Car ce qui fascine en visitant cette expo, c’est la place donnée à l’art comme possibilité de créer une communauté. Ayot est de ceux pour qui le processus de création était une manière d’appartenir à une tribu. Ici, on retrouve des portraits de Robert Wolfe, Serge Lemoyne, Yves Gaucher; là, des représentations d’Yvon Cozic, de Serge Tousignant, Madeleine Forcier

Sa participation à Pack Sack – intervention de groupe dans les années 60 par laquelle, avec des amis artistes, Ayot créait de l’art avec des enfants – est aussi exemplaire de cela. Il y a chez lui une attitude contre le chef-d’oeuvre fabriqué pour l’éternité qui permet de donner une place à une intervention créatrice effective dans le présent. Les témoignages de ses étudiants, que le visiteur pourra entendre dans un documentaire réalisé pour l’occasion par Myriam Bouchard, montrent aussi comment, même dans son enseignement, il a su s’impliquer comme catalyseur d’énergie, comme avant tout un être humain capable de dialoguer pleinement avec les autres.

Son travail a voulu désacraliser l’oeuvre d’art. La dernière salle de l’expo est, à cet égard, significative. Son Museum Circus, montré au Musée du Québec en 1993, avec ses anti-monuments parodiant ceux dédiés à des rois, des héros-guerriers ou de grands hommes (dont parfois des artistes), en est un bon exemple. Ces totems ne mettent ici en scène que quelques toutous de peluche venant simplement distraire le spectateur… On est loin de l’idée de génie.

L’art d’Ayot exprime le désir de démocratiser l’art en le rapprochant de la vraie vie et du quotidien. L’intérêt pour le hockey exprimé dans plusieurs oeuvres (qu’il partage aussi avec Lemoyne) est un autre témoignage de ce désir d’inclure des sujets plus populaires dans le domaine artistique. Son art appartient aussi, cette tendance de la modernité qui, après des siècles à l’artiste voulait devenir noble en parlant de sujets grandioses, a donné un sens plus concret au travail artistique. L’autoportrait d’Ayot, dans son atelier, vêtu d’une salopette tel un ouvrier de l’art, en est un bon exemple. La salle de l’expo, semblable à un chantier de construction, ramène le processus créatif au travail physique, au quotidien du labeur que tout spectateur peut comprendre. Cet art parfois utopique recèle un rêve intelligent.

Notons que Madeleine Forcier, compagne d’Ayot pendant 20 ans, historienne de l’art et directrice de la Galerie Graff, rencontrera le public le mercredi 18 avril à 19 h. Une occasion unique d’entendre parler d’un artiste qui, comme nul autre, savait vivre son art au quotidien.

Jusqu’au 17 juin
Au Musée des beaux-arts de Montréal