La Biennale de Venise : Art sans frontières
Arts visuels

La Biennale de Venise : Art sans frontières

La 49e édition de la prestigieuse Biennale de Venise, lancée à la mi-juin, offre un panorama représentatif (mais inégal) de l’art actuel avec des pièces d’artistes majeurs de la scène internationale. Notre critique en fait le bilan.

Fondée en 1895, la Biennale de Venise est, avec la Documenta de Cassel en Allemagne (qui a lieu tous les quatre ou cinq ans), un des événements les plus courus du milieu de l’art. Non pas tant pour le point de vue théorique qui y est développé – souvent plus présent à Cassel – que pour la possibilité d’y voir un panorama représentatif de l’art actuel avec des pièces d’artistes majeurs ou du moins célèbres. Et la 49e édition de cette Biennale ne fera pas exception.

Pour une deuxième année consécutive, le directeur Harald Szeemann signe un événement plus que respectable mais éclaté, sans grande nouveauté, une simple continuation de la vision mondialiste, maintenant assez commune, amorcée avec l’expo Les Magiciens de la terre, conçue en 1989 par Jean-Hubert Martin au Centre Pompidou. Il aurait fallu porter un regard critique sur cette idée utopique d’un monde post-colonial où les artistes de la planète seraient réunis dans un dialogue sans frontières… Et la présence de plusieurs créateurs chinois, tant sur la scène de l’art contemporain que dans cette Biennale, est bien l’indice que l’art est avant tout un lieu d’enjeux politico-économiques sublimés.

Cette Biennale, son directeur l’a voulue sans thème précis. Son titre, Plateau de l’humanité, veut refléter la diversité de l’art dans le monde, avec comme seul angle de lecture la notion de liberté… Assez banal.

Pourtant, Szeemann (68 ans) a derrière lui un parcours impressionnant. Il a réalisé au moins deux expos majeures de la seconde moitié du 20e siècle – Quand les attitudes deviennent formes en 1969, et La Documenta V, Mythes individuels – Mondes d’images parallèles, en 1972. Alors pourquoi un tel repli intellectuel? Cela serait attribuable à notre moment historique où la production des artistes est plus qu’hétérogène? Désir, en ce début de siècle, de faire un survol sans discrimination des diverses approches de l’art?

Malheureusement, la Biennale 2001 est un gigantesque fourre-tout regroupant, des quatre coins de la planète, une centaine d’artistes, des doyens (comme l’Italien Mimmo Rotella, 83 ans, et l’Américain Cy Twombly, 73 ans, avec de tout récents tableaux aux couleurs acides) aux plus jeunes tels que le très prometteur Chinois de 24 ans Xu Zhen, et sa vidéo montrant en gros plan un dos rougissant d’ecchymoses, que l’artiste a juxtaposé à des bruits de coups cinglants.

Il n’empêche qu’on y trouve de bons artistes et quelques bonnes oeuvres. Notons le Pavillon du Brésil avec Ernesto Neto et Vik Muniz. Neto est capable de créer, avec de simples bas de femmes, de fantastiques espaces tenant à la fois de la science-fiction et du jardin pour enfants. Merveilleux. Quant à Muniz, il poursuit sa représentation de tableaux célèbres faits avec de la nourriture (dont du chocolat) pour les traiter ici avec de petits carrés de couleurs proches des échantillons de peinture pour décorer un appartement. L’art est-il devenu un simple objet de consommation?

Ron Mueck – remarqué avec l’expo Sensation – ouvre avec force un des bâtiments de l’expo grâce à une monumentale sculpture d’un garçon accroupi qui ressemble à un sphinx interpellant le spectateur.

Même si elle a été présentée ailleurs (entre autres à Londres pour Apocalypse), il était bien captivant de revoir la pièce de l’Italien Maurizio Cattelan montrant le pape gisant au sol frappé par un météorite. Acte de Dieu ou du Diable? Cattelan, qui vient de signer une sculpture d’Hitler à genoux en train de prier, s’attaque décidément avec intensité à l’église catholique.

Remarquables également, les photos du Japonais Tatsumi Orimoto montrant sa mère dans des situations loufoques ainsi que celles de la Néerlandaise Rineke Dijkstra, avec sa série de jeunes soldats israéliens.

Signalons aussi les grands ratages de cet événement. Échec majeur pour l’artiste Robert Gober au Pavillon des États-Unis. Son installation: un espace presque vide meublé ici d’une bouteille de gin et là d’un texte encadré traitant plus ou moins d’avortement… Pas fort. Tout comme les 12 photos par Vanessa Beecroft de sa soeur en maillot de bain posant comme Madame Récamier avec des variations de couleurs et de lumières en correspondance avec le changement des saisons. Travail peu subversif pour celle qui nous a habitués à une plus impressionnante déconstruction de l’image des femmes.

Présence canadienne
Cinq artistes canadiens (six, si l’on compte l’off-Biennale de Wanda Koop) représentaient le pays à cette Biennale. Parmi eux, aucun Québécois! George Bures Miller et Janet Cardiff ont gagné un Prix spécial pour avoir réussi "à impliquer le spectateur dans une nouvelle expérience cinématique où la fiction et la réalité, la technologie et le corps se rencontrent en de multiples parcours dans l’espace et le temps". Leur pièce, Paradise Institute, au Pavillon canadien, travaille les illusions sensorielles. Une minuscule salle de ciné en perspective y semble gigantesque. Elle résonne de conversations et de bruits qui semblent très réels. Le spectateur a souvent envie de se retourner pour demander aux autres de se taire… Peut-être pas la pièce la plus subtile de Cardiff, mais des effets sonores très réussis.

Max Dean, en collaboration avec l’Américain Raffaello d’Andrea, a créé une oeuvre interactive digne de ce nom. Dans une salle, une table semble suivre certains des visiteurs et réagir à leurs mouvements. Le tout forme comme une danse où cet objet inanimé devient presque vivant. Digne des mouvements magiques de Fred Astaire qui arrivait à donner une âme à un chapeau, une canne ou une chaise…

Jeff Wall – qui, d’après Szeemann réalise une forme moderne de l’arte povera – était présent avec de nouvelles images épurées et composées comme toujours avec une rigueur digne de Cézanne.

Mais la pièce qui m’a le plus fasciné, chez les Canadiens, reste celle du cinéaste Atom Egoyan, Close, réalisée avec Juliao Sarmento. Il s’agit d’une projection vidéo où la pulsion du voir et les interdits sexuels se mélangent. Le spectateur ne peut voir cette installation visuelle que le nez collé littéralement à celle-ci. On y scrute les doigts de pied d’une femme qui se coupe les ongles et dépose ses rognures dans la bouche d’un homme, tout en lui tenant un discours sur la chaussure de Cendrillon…

Un érotisme voyeur qui donne tout son sens à l’expression "prendre son pied!"

Pour plus d’information: www.labiennale.org

Jusqu’au 4 novembre