John Soane : Esthétique et éthique
Arts visuels

John Soane : Esthétique et éthique

Le Centre canadien d’architecture amorce une nouvelle série intitulée La Dynamique de l’architecture moderne. Avec une expo qui offre une réflexion profonde sur cette modernité.

Le Centre canadien d’architecture amorce une nouvelle série imposante d’expos qui va certainement être stimulante intellectuellement. Intitulée La Dynamique de l’architecture moderne, elle s’échelonnera jusqu’en 2004! Une présentation sur l’architecte néoclassique anglais John Soane inaugure ce cycle. Cela pourrait sembler bien étrange…

Le style néoclassique qui a dominé une bonne partie des XVIIIe et XIXe siècles a été celui d’un académisme tourné vers l’Antiquité, un outil pas vraiment contestataire de légitimation du pouvoir, une apologie souvent pompeuse du triomphal, du magnifique, du monumental (les superlatifs me manquent!), un art esthétisant et frôlant le décoratif. C’est contre cet académisme poussiéreux que bien des architectes et artistes se sont élevés à l’ère moderne. Et Soane peut sembler lui aussi bien loin de la pureté du less is beautiful du XXe siècle. Peut-être pas tant que ça… L’ordonnance, la simplicité des formes organisatrices et géométriques des projets des Français Boullée, Ledoux ou Lequeu, ainsi que de Saone, ont eu un impact certain sur la modernité.

Cela tient peut-être, comme Robin Middleton l’écrit dans le catalogue de cette expo, au fait que Soane a réussi à pervertir l’académisme. À moins que, tout simplement, que l’académisme néoclassique soit en général pervers… Il a constitué une forme d’art très esthétique sans frivolité qui voulait aussi prôner une éthique de vie et des valeurs supérieures (telles que l’héroïsme) pour le citoyen. Cette idée d’un individu meilleur formé entre autres par les arts, dont l’architecture, a également prévalu au XXe siècle…

Il faut aussi aller voir cette expo juste pour la qualité et la beauté des aquarelles présentées. Les représentations des bâtiments que Joseph Michael Gandy a réalisées pour Soane sont superbes, alliant avec élégance les bleus, le blanc cassé et les ocres dorés.

Intelligente expo qui aurait cependant pu être encore plus échevelée dans sa présentation afin de mieux rendre compte de l’excentricité de cet architecte dont la maison londonienne est emplie d’un amoncellement faramineux de marbres et de plâtres divers. La muséologie est encore très frileuse dans ses scénographies. La Dynamique moderne, héritière entre autres de la pureté esthétique voulue par des historiens de l’art comme Greeenberg et de Fried et par maints architectes, ne serait-elle pas finie?

Une expo qui offre une possibilité de réflexion profonde sur cette modernité.

Bien médiocre et même très prétentieuse se révèle cependant la présentation des sculptures de Geoffrey Smedley qui l’accompagne dans la salle octogonale du CCA. Celui-ci s’est inspiré de dessins de la tête idéale élaborée par l’artiste de le Renaissance Piero della Francesca. Smedley semble y trouver une source de réflexion esthétique et intellectuelle. Le résultat? La pièce maîtresse est une simple représentation 3D de cette caboche-là. Même si elle fait plus d’un mètre de haut, elle constitue une coquille vide guère impressionnante… Il faut avoir lu Georges Didi-Huberman et son livre Être crâne, paru l’an dernier, pour mesurer l’ampleur de l’échec de cette présentation. Ce dernier a su vraiment réfléchir à la question et s’approprier – et cela même poétiquement – les visons et théories d’artistes sur le sujet, de Léonard de Vinci à Penone, en passant par Dürer. Là où Smedley se cassait le nez, Didi-Huberman nous a ouvert l’esprit!

Jusqu’au 3 septembre
Au Centre canadien d’architecture

Vers un urbanisme pragmatique
C’est la fin de l’année des Commensaux à la Galerie Skol. Une saison bien remplie où l’art s’est montré un outil renouvelé pour créer des contacts sociaux… Elle s’achève avec un subtil projet de deux architectes, Luc Lévesque et Jean-François Prost.

Avec Amarrages, qui pourrait apparaître comme une simple invitation à expérimenter différents lieux urbains inusités choisis par les deux compères, Lévesque et Prost proposent en fait un programme urbanistique habile, un doux manifeste d’intervention dans le tissu urbain. Dans divers endroits, ils ont placé une simple table à pique-nique servant de point de repère et de repos, un site de rencontres conviviales! Mais cet élément du mobilier urbain se transforme en un outil d’appropriation de places souvent abandonnées: terrains vagues, espaces interstitiels entre deux échangeurs autoroutiers et autres emplacements vacants du paysage moderne citadin.

Les deux architectes opèrent ici un travail proche des réflexions du Néerlandais Rem Koolhaas qui a effectué une critique de l’urbanisme moderniste, mais aussi du retour à l’historicisme postmoderne. Ils prônent un urbanisme pragmatique, non utopique, capable d’investir les points marginaux de la ville sans pour autant aller vers la table rase moderne. Ils veulent s’approprier, on pourrait presque dire parasiter, les "accidents" du réseau urbain. Intelligent.

Pour l’instant, six espaces sont à visiter. L’un d’entre eux a retenu plus particulièrement mon attention: celui jouxtant l’aéroport de Dorval. Les tables à pique-nique y deviennent des gradins et transforment un terrain abandonné en lieu d’observation d’où l’on peut contempler le spectacle des avions au décollage ou à l’atterrissage… À voir accompagné. La liste des emplacements choisis est disponible sur le site www.amarrages.com

Tout au long de l’été
Divers lieux à Montréal