BloguesLe blogue d'Aurélie Lanctôt

Trop de féministes, vraiment?

Ce billet est une réponse au texte Y a-t-il trop de féministes dans Urbania? écrit par Pascal Henrard le 13 février 2014. 

Je suis une jeune femme de 22 ans bien comme il faut. Si vous demandiez à mes parents, ils vous diraient sans doute qu’ils sont fiers de leur belle grande fille qui étudie fort et qui leur rend visite tous les dimanches.

Je fais beaucoup d’exercice, je mange bien, je peigne mes cheveux de temps à autres et il m’arrive de faire des sourires ingénus aux jolis garçons dans le métro. Je suis, pour reprendre les mots de tonton Pascal, tout à fait « aimable ». Pour tout dire, j’adore les hommes et ils me le rendent bien.

Voyez. Je suis, nonobstant ma proverbiale maladresse et mon irrévérence occasionnelle, exactement ce que la société s’attend à ce que je sois. Plate, hein?

En fait, à un détail près. Je suis féministe, très féministe. Et je n’ai pas la langue dans ma poche. J’ai aussi, par un heureux hasard, accès à des tribunes pour en parler. J’écris donc des chroniques à divers endroits sur les Internets et je pousse même l’arrogance jusqu’à aller causer féminisme régulièrement, à la radio.

Bien sûr qu’il m’arrive d’être casse-couilles. Mais pas juste avec les hommes : avec tout le monde. La constante étant néanmoins avec ces internautes qui, du haut de leur ignorance, pondent des chiures syntaxiques lorsqu’ils sont agacés dans leurs privilèges. Mais pour faire plaisir à tonton Pascal, pour le coup, je vais réfréner un de ces accès d’arrogance qui caractérisent ma personnalité et répondre de manière aimable. Après tout, c’est ce que doit avant tout faire une demoiselle. Être aimable. Allons-y donc comme suit.

Y a-t-il du mauvais féminisme dans la blogosphère? Bien sûr, qu’il y en a.

Y a-t-il trop de féminisme? Non. Certainement pas. Et en fait, je dois dire qu’au Québec, pour le coup, nous sommes choyés. Choyés d’avoir dans l’espace médiatique (web comme autre) des voix comme celles de Martine Delvaux, Catherine Voyer-Léger, Véronique Grenier, Judith Lussier, Sarah Labarre et j’en passe. Que leur féminisme soit plus revendicateur ou implicite; il n’en demeure pas moins que ces paroles sont nécessaires. Et plus il y en aura, mieux ce sera. Point, barre.

On me demande souvent « pourquoi » je m’agite autant dans le bassin féministe. Pourquoi moi, petite fille privilégiée, hétérosexuelle et blanche, j’aurais quoi que ce soit à redire sur la « condition féminine »?

Principalement parce que je suis consciente de mes privilèges. Comme bien des féministes dites « agitées », je suis consciente du fait que si moi, mes copines et mes petites camarades de classe ont en effet de bonnes chances de devenir politicienne, prof d’université ou chef d’entreprise (vive le progrès!), c’est une chance qui est loin d’être à la portée de toutes les femmes; et que ces chances leurs sont confisquées en grande partie parce qu’elles sont femmes.

Et oui. Entre autres choses, n’en déplaise à Pascal Henrard, l’oppression des femmes en est une de classe. Je peux comprendre qu’il soit difficile de l’entrevoir lorsqu’on vaque paisiblement dans un microcosme bourgeois et patriarcal, mais c’est une réalité.

Parce que pendant qu’on nomme une poignée de femmes « aimables » sur des conseils d’administration et qu’on s’applaudit en appelant ça du féminisme, il y en a encore qui vivent dans la merde et la violence. Des femmes broyées, ignorées, objectifiées, racisées, méprisées. Et ces femmes n’ont pas toutes accès à des tribunes ni même à l’éducation qu’il faut pour formuler un cri du cœur qui réussira à se tailler une place dans l’espace médiatique.

Par ailleurs, privilèges ou non, la féminité, même en 2014, peut faire mal. Trop souvent d’ailleurs. Ça vient généralement comme une claque en pleine gueule. On ne s’y attend plus et hop : voilà qu’on se fait rappeler abruptement à quel point on est trop grosse ou trop lâche. Ou alors pas assez « mère », puis pas assez « pute » l’instant d’après. Parce qu’on se fait congédier sur ces mots : « C’est un univers d’hommes ma belle, va falloir que tu t’y fasses» ou parce qu’on se fait menacer de viol pour avoir oser critiquer sur internet une politique patriarcale.

Mais ça, évidemment, les mansplaineurs condescendants n’en ont pas l’ombre d’une idée. Les double standards et la violence symbolique qu’on inflige aux femmes, évidemment qu’il est facile de les passer sous couvert lorsqu’on ne les subit pas à tous les jours.

Alors pour toutes ces fois où la douleur d’être femme passe sous silence, non, je ne serai pas « aimable » et silencieuse. Je n’édulcorerai pas non plus mes propos féministes en m’assoyant sur les privilèges dont je jouis. L’absence d’urgence vitale et personnelle n’est pas un argument valable pour que moi et mes collègues « bruyantes » et « anti-zizi » nous taisions.

Les femmes se sont tues pendant trop longtemps et se taisent encore trop. Alors je vais continuer à insister sur le féminisme sur toutes les tribunes qu’on me donnera parce que moi, petite fille aimable et bien comme il faut, j’ai la chance et les moyens intellectuels comme matériels de le faire.

Je n’arrêterai ni sur internet, ni sur les ondes, ni sur la rue, ni dans les bars, ni sous les couvertes.

Et oui, je continuerai à aimer les hommes. Tout comme ils continueront à me trouver tellement « aimable ».

Et moi, sur twitter, c’est @aurelolancti