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Les démagos

La démagogie se porte bien au Québec. Des accusations de trahison à la nation aux condamnations en bloc des maudits syndiqués ou capitalistes, la nuance ne semble pas avoir la cote. Perchés sur leur Bixis, les stupides gauchistes lancent de la bouette aux morons drettistes dans leurs pick-ups au charbon, et vice-versa.

Le phénomène est-il nouveau? Aucune idée. (De toute façon, il n’y a pas que la nouveauté d’intéressant.) Mais l’émergence récente d’un axe politique gauche-droite au Québec a sans doute donné une visibilité accrue aux arguments les plus “faciles” des deux camps, avec les hauts cris qu’ils suscitent.

À cet égard les chroniques récentes de Nathalie Elgrably sur la culture, auxquelles j’ai répliqué comme bien d’autres, méritent qu’on s’y attarde avec un peu de recul.

Selon Wikipédia (une source aussi fiable que Britannica), la démagogie est une argumentation politique qui “fait fréquemment appel à la facilité voire la paresse intellectuelle en proposant des analyses et des solutions qui semblent évidentes”.

Cette “paresse intellectuelle” peut prendre plusieurs formes, mais celle qui m’intéresse aujourd’hui — celle employée par Mme Elgraby et bien d’autres — est celle de l’égalitarisme radical: l’idée simple, et simpliste, selon laquelle “tout le monde est pareil”, tout se vaut, et one size fits all.

On associe souvent l’égalitarisme à la gauche, mais il peut très bien s’appliquer des deux côtés du spectre politique. Dès qu’on évacue les nuances au profit de jugements en bloc, la porte est grande ouverte à la démagogie.  

L’égalitarisme démagogique de droite, par exemple, c’est d’affirmer que tout le monde est pareil, et donc identiquement libre et responsable de ses choix de vie. Avec comme conséquence une foi aveugle dans la méritocratie absolue, où l’on présume que chacun a ce qu’il mérite — sans besoin pour l’État d’intervenir pour modifier l’ordre des choses. Puisque tout le monde est libre et responsable de sa vie, il s’ensuit que les riches méritent d’être riches, les pauvres sont responsables de leur sort, les criminels doivent tous croupir en prison, et les puissants méritent l’admiration générale.

L’égalitarisme démagogique de gauche, au contraire, c’est d’affirmer que tout le monde est pareil, mais identiquement déterminé par les circonstances arbitraires de sa naissance et de son environnement, et donc innocent de son sort. Personne ne mérite sa condition, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Les riches sont chanceux, les pauvres malchancheux; les criminels sont des victimes de leur enfance et les puissants ne doivent leur statut qu’aux circonstances. Avec comme conséquence un rejet de la méritocratie au profit d’un traitement mécanique de tout le monde: communisme, redistribution extrême, dictature de l’ancienneté, etc.

D’un côté comme de l’autre, cet égalitarisme radical a des implications graves.

Ce n’est pas vrai que tout le monde mérite également son sort. Oui, il y a des gens paresseux, stupides ou sans jugement, qui méritent de récolter ce qu’ils ont semé, n’en déplaise à la gauche ultradéterministe. Mais il y a aussi des tonnes de gens nés de rien, qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, et pour qui l’horizon est largement bloqué tôt dans la vie. Prétendre que la petite fille d’Outremont née de parents millionnaires est aussi libre et responsable de son sort que le petit gars né d’une fille-mère d’Hochelaga-Maisonneuve, c’est d’un aveuglement criminel. On ne peut pas baser des politiques publiques sur ce
dogmatisme injuste et irréaliste
.

Mais ce n’est pas vrai, non plus, que la vie de tout le monde n’est que le produit du hasard et des circonstances. L’impact des facteurs externes est majeur et indéniable, n’en déplaise à la droite droguée au libre arbitre. Mais il n’est pas absolu. Tout le monde connait des histoires de gens qui, à la sueur de leur front et grâce à leur courage, ont réussi alors qu’ils avaient tout pour échouer, et d’autres qui, nés dans la ouate, ont tout gaspillé par leur faute. Tout le monde a côtoyé des collègues qui méritaient d’être promus, et d’autres qui méritaient d’être renvoyés, le tout sans injustice. Traiter tout le monde également, dans ce contexte, c’est saboter l’équité et un certain idéal de dépassement de soi, et tolérer une forme de free riding très dangereuse.

Bref, la mécanique égalitaire aveugle me semble a priori aussi socialement destructrice que l’utopie voulant que chacun mérite son sort: dans les deux cas, on nie une composante essentielle de la vie en société.

Où ceci mène-t-il? Au cas par cas. À la nuance. À une certaine sophistication intellectuelle qui reconnait que l’être humain est simultanément libre et déterminé.

Et, concrètement, à des politiques publiques qui favorisent l’égalité des chances — pour compenser l’arbitraire des circonstances — sans imposer l’égalité au fil d’arrivée — pour reconnaître le mérite individuel.

Est-ce que ça s’appelle le centre politique? Peut-être. On pourrait aussi appeler ça le bon sens. Mais malheureusement le centre nuancé — contrairement à la démagogie — n’est pas très à la mode ces temps-ci.