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Ça fait quoi, perdre aux Chefs?

«Ce n’est pas une défaite.» Pas quand on s’appelle Isabelle Deschamps-Plante, qu’on a 30 ans et un talent qui n’est éclipsé que par une seule chose: une remarquable gentillesse.

Je le confesse, quoique ce ne soit pas un grand péché: j’ai regardé distraitement Les Chefs!, plus occupée à rire des commentaires sur Twitter qu’à regarder les aspirants-chefs se démener avec le mautadit yogourt grec (avoir été à leur place, je m’en serais servi pour repeindre mon bureau, tiens).

Mais à travers toute la rigolade entourant l’omniprésence des commmanditaires (alors qu’on suggérait aux participants de cuisiner le Swiffer au citron en millefeuilles) et la difficulté de faire des crêpes su’l sens du monde, le nom d’Isabelle ressortait souvent, accompagné de «Elle va gagner!», «Faut la surveiller celle-là» pis de «#teamIsabelle».

Au-delà d’un chauvinisme alimentaire (go, Québec, go!) assorti d’un féminisme culinaire (une fille gagnante, enfin? une juge, enfin? Hugo Dumas soulève la question avec justesse ici), j’aurais moi aussi aimé qu’Isabelle gagne, car elle incarne à mes yeux ce qu’un chef doit être: créatif, fonceur, positif. La rencontrer en personne ne fait que renforcer cette impression (eille, pour une fois que la télé ne nous ment pas!).

Je devais jaser avec Isabelle de son nouveau menu trois services au 47e Parallèle, que le restaurant lançait en grande pompe la semaine dernière. L’entrevue aura dérapé et, pendant 1h30, nous aurons abordé non seulement sa «défaite» aux Chefs (les guillemets sont de mise, la défaite n’étant qu’une formalité), mais aussi le plaisir de manger des toasts, la meilleure façon d’obtenir des réservations à New York et l’obsession des gens pour le gâteau au chocolat.

De la popularité instantanée

Isabelle Deschamps-Plante, 47e Parallèle
Isabelle Plante

Dire que le 47e Parallèle compte sur la popularité d’Isabelle serait peu dire. À l’entrée trône une affiche géante d’elle, ce qui ne manque pas de mettre la chef pâtissière un peu mal à l’aise. «Je suis timide, dans la vie!» Difficile à croire, quand on voit la chaleur avec laquelle elle me reçoit. Et cette chaleur, elle l’exprime avec tous ceux qui viennent la féliciter. Car ils sont nombreux… Chaque jour, des clients du resto demandent si elle est en cuisine et s’ils peuvent la rencontrer.

Sa «célébrité locale» ne s’arrête pas là. «Oui, quand je vais à l’épicerie, les gens regardent ce qu’il y a dans mon panier! Ils doivent être surpris, y’a de la pizza congelée dedans…» Parce qu’être chef pâtissière et chef à domicile n’est pas de tout repos, encore moins quand on a un visage connu. Au gym, les gens lui posent des questions comme «ce soir, là, je fais du flétan, aurais-tu une bonne recette pour ça, toi?». Une dame lui a même demandé de l’aider à concevoir un menu pour la fête de son fils! Et notre gentille ex-aspirante-chef, comment réagit-elle? «Ça me fait tellement plaisir de les aider. Je vois ça comme une marque de confiance. Ils se disent que je cuisine bien! Quand on m’aborde, c’est toujours pour me féliciter. Les gens sont super gentils, je trouve ça vraiment touchant. C’est comme s’ils me connaissaient… mais moi, je ne les connais pas!»

La seule chose qui pourrait l’irriter, dans cette popularité soudaine? «Les gens me demandent toujours “Pis, as-tu ton resto, là?”. Non, ce n’est pas automatique. Même avec le grand prix [de 10 000 $], tu peux pas te payer un vrai four! C’est mon rêve depuis le secondaire d’avoir un petit resto avec une ambiance relax, et un comptoir à pâtisseries. Mais la compétition est féroce, il faut des sous et des investisseurs pour se lancer là-dedans.»

En attendant de réaliser son rêve (plus tôt qu’elle ne le croit, si vous voulez mon avis), elle travaille avec son copain à donner des soirées de chef à domicile. «J’adore le contact direct avec les gens, échanger avec eux. C’est toujours des trippeux de bouffe!» Pas mal pour une timide autoproclamée, non?

De l’inspiration… et de la défaite

Comment décrirait-elle son approche de la cuisine? «Avec la cuisine, j’aime sortir les gens de leur quotidien, leur faire découvrir de nouvelles combinaisons de saveurs. Mon menu au 47e Parallèle est à l’image de ce que je veux manger au restaurant. Les gens ont été très surpris par mon dessert [un crémeux au fruit de la passion, avec guimauve au basilic], tout le monde m’en a parlé!»

Ce dont tout le monde parle, au-delà de son dessert, c’est bien entendu sa deuxième place à l’émission. «J’étais contente que Jérôme l’emporte. Il le mérite, c’est une bête en cuisine! Ce n’est pas une défaite pour moi. La finale était le défi le plus facile, à mon avis. J’ai montré qui j’étais, j’ai fait des plats qui me ressemblaient. Quand tu sors de l’émission, c’est toujours la tête haute. J’ai appris à avoir confiance en moi. Je suis capable d’en faire plus que ce que je pensais, finalement.» Toute une leçon pour celle qui s’était, de son propre aveu, inscrite aux Chefs sur une gageure!

Isabelle s’est prêtée à maintes entrevues depuis la fin de l’émission. En terminant la discussion, je lui demande de quoi elle jase avec les journalistes. Elle me répond en riant que tout le monde lui demande ce qu’elle va manger ce soir! «Ils s’attendent probablement à un souper super gastronomique, sauf que la réponse peut être aussi plate que des toasts.»

Moi, des toasts, je trouve pas ça plate pantoute. Alors, en guise de soutien moral à Isabelle qui n’a pas toujours le temps de cuisiner de grands menus mais qui a pris le temps de me parler, je me suis fait griller deux belles tranches de Gadoua blanc moelleux. En mordant dedans et en faisant des miettes dans le clavier, je me suis dit que même si ça semble triste comme souper, les toasts d’Isabelle devaient quand même avoir un p’tit goût de succès.