Angle mort

Pour en finir avec le kitsch

 

Qu'est-ce qui est kitsch et qu'est-ce qui ne l'est pas? Vidons la question une fois pour toutes.

C'est bien beau, le kitsch, mais il faudrait tout de même savoir de quoi on parle.

Dans son livre Montréal Kitsch, qui vient de paraître aux Éditions La Presse, le journaliste Sébastien Diaz inventorie les lieux kitsch de la métropole. Il y en a 98 en tout. On passe de la Place Versailles au club échangiste Le Céleste, d'Ameublement Elvis au Casino de Montréal, du Marché haïtien Épicerie Vaudou au Stade olympique.

Au fond, le kitsch, c'est pas mal de choses.

En feuilletant le guide, on est même tenté de conclure que "kitsch" est un label qu'on peut coller à tout ce qui est démodé, suranné, de mauvais goût, cheap, laid.

Les origines du mot "kitsch" sont floues. On ne s'entend pas pour dire s'il vient du mot allemand verkitschen, qui signifie "vendre en dessous du prix", ou de kitschen, qui signifie "ramasser des déchets dans la rue".

Dans un cas comme dans l'autre, on n'est pas plus avancé, de toute façon.

C'est voilà plus d'un siècle et demi que le mot s'est répandu. Le kitsch était alors lié à l'industrialisation et à l'accroissement des temps libres au sein de la classe ouvrière. Les petites gens avaient désormais du temps à consacrer à la culture… sans nécessairement en avoir les moyens. Naquit alors tout un marché de l'imitation, qui permettra d'offrir des biens culturels produits à grande échelle et vendus à bas prix. Par exemple, des reproductions de toiles célèbres au format salle de bain.

Dans les années 50, des intellectuels de gauche se mettront à associer le kitsch d'antan aux travers de la nouvelle société de consommation. Le kitsch – ou la culture pour les pauvres – sera même vu comme une façon de manipuler les masses, de les abaisser culturellement pour mieux les contrôler.

Pas sûr que cette définition du kitsch soit encore valable aujourd'hui.

On confond souvent le kitsch et le quétaine. "Il y a cependant une nuance", avertit Sébastien Diaz en préambule de son guide. En effet, tout ce qui est quétaine n'est pas forcément kitsch, et vice-versa.

Sur le masque de Carey Price, il y a un portrait "airbrush" de Garth Brooks. C'est quétaine.

Le décor hawaïen du buffet Jardin Tiki, sur Sherbrooke, avec son mobilier en bambou et ses poissons en plastique. C'est kitsch.

Voyez-vous la nuance?

D'ailleurs, les grands succès du groupe Nuance, est-ce kitsch ou quétaine?

Je n'arrive pas à trancher.

En 2006, la journaliste au Soleil Michèle LaFerrière y allait d'une tentative de définition du kitsch. "Un certain objet naît quétaine, il sombre ensuite dans l'oubli. S'il revient, il devient kitsch. S'il dure, il est promu antiquité."

Bel essai. Mais si je me fie au guide de Diaz, elle ne résiste pas à l'épreuve du terrain. Le Stade olympique et Chinatown n'ont jamais sombré dans l'oubli. Ce sont pourtant des lieux hautement kitsch. Et si les magasins Rossy sont nés quétaines, peut-on en dire autant du Casino de Montréal (ex-pavillon de la France à l'Expo 67)?

Or, il y a clairement dans le kitsch une glorification d'un passé pas si lointain.

Mais si vous voulez mon avis, on se trompe en tentant de définir ce qui est kitsch. QUI est kitsch? Voilà la question.

Quand ma grand-mère porte un coton ouaté avec un loup devant parce qu'il fait frisquet, ce n'est pas kitsch du tout.

Par contre, si je porte le même coton ouaté, un samedi après-midi, en tâtant un dragon fruit au marché Jean-Talon… Là, on tient quelque chose de kitsch.

En deux mots, le chandail devient kitsch le jour où celui qui le porte le fait par souci de branchitude extrême. Parce que le kitsch est d'abord un statement.

C'est transformer en in tout ce qui est on ne peut plus out.

C'est nommer "chef-d'ouvre" les pires films de série B de la Boîte Noire.

C'est commander une grosse Labatt 50 dans une taverne crado et en parler comme si c'était l'expérience d'une vie.

Le kitsch est la mode d'une certaine élite culturelle branchée et urbaine. Par contre, le mot a perdu son vernis négatif. Ce n'est plus, comme jadis, une critique de la société de consommation et de l'inculture du petit peuple. C'est plutôt une forme d'hommage en forme de douce dérision.

En redécouvrant l'esthétisme subtil des sous-sols en préfini, en ressortant des boules à mites les artefacts cheapo de l'Amérique banlieusarde des Trente glorieuses, les jeunes adultes qui carburent au kitsch font la paix avec la culture de leurs parents.

Sans tomber dans la psychanalyse collective, il y a peut-être là-dessous un désir de retrouver l'état d'esprit de l'époque: insouciance, optimisme, foi en l'avenir.

Voilà qui ressemble à une quête bien moderne…

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Le kitsch c'est beau, David Bruneau sur Hystérie, 26 novembre 2005