Angle mort

La rançon de la médiocrité

Je vais vous dire bien franchement, la politique québécoise et/ou canadienne, je la trouve bof.

En tout cas, la plupart du temps.

En fait, pour être plus précis, ce sont les politiciens que je trouve bof.

J'ai comme l'impression que notre système politique n'est pas conçu pour attirer la crème de la crème de la société.

J'ose croire que ceux qui se lancent en politique le font pour de nobles raisons. Mais une fois élus, ils deviennent quelconques. Ils se retrouvent dans un bain où ils ne contrôlent même pas la température de l'eau. Ils apprennent par cour des discours écrits par d'autres. Ils réalisent que leur impact global sur le cours des choses est pour le moins limité. Et peu à peu, les idées qu'ils avaient pour changer le monde se transforment en stratégies pour survivre à la prochaine élection.

D'autant plus que, pour la plupart des députés, leur carrière politique se résumera à un job temporaire dont personne ne se souviendra. Dans le meilleur des cas, s'ils durent et sont appréciés dans leur comté, ils pourront espérer qu'on nomme un parc en leur honneur.

Dans L'Ère de la médiocrité, un essai paru en 1973, le journaliste américain Cyrus L. Sulzberger écrivait: "Les hommes politiques dont le degré d'excellence est moyen sont mieux taillés pour répondre aux besoins normaux, parfois peu passionnants, du temps de paix."

Que c'est vrai. La vie politique au pays n'est pas faite pour les gens d'exception, pour les leaders d'envergure, pour les grands bâtisseurs. Ceux-là s'épanouissent ailleurs.

Au pouvoir, on ramasse les restes.

Aussi, je salue mes collègues journalistes qui couvrent la politique et les politiciens.

Eux qui doivent rigoureusement documenter les faits et gestes de ces individus qui ne passeront probablement pas à l'histoire.

Eux qui, jour après jour, se font lécher les oreilles par ces langues de bois, par ces experts de l'immobilisme commode.

Je leur lève mon chapeau.

Ils sont peut-être les chiens de garde de la démocratie. Mais disons qu'il y a des démocraties plus excitantes que d'autres à garder.

Or, comment peut-on leur en vouloir d'être surexcités lorsqu'ils déterrent – enfin – un beau gros os bien gras? Ils font comme les chiens affamés et le rongent jusqu'à la moelle sans prendre le temps de respirer, tout en agitant la queue frénétiquement.

Et c'est l'éthique, ces jours-ci, qui fait branler la queue des journalistes politiques.

Jeudi dernier, devant la Commission Oliphant, l'ex-premier ministre du Canada Brian Mulroney n'a pu retenir ses sanglots en accusant les médias de s'acharner sur son cas.

Rappelons que l'ex-PM a reçu de l'homme d'affaires Karlheinz Schreiber trois enveloppes pleines d'argent comptant, dans trois chambres d'hôtel, qu'il a gardé ce fric dans ses coffres-forts pendant cinq ans, à l'abri des intérêts, avant de l'encaisser et de le déclarer à l'impôt.

Avouons que ce ne sont pas là des gestes qu'on attendrait de quelqu'un qu'on a déjà appelé "honorable". Pour tout dire, c'est médiocre.

Et Frank Zampino, l'ex-numéro 2 de la Ville de Montréal? Il a passé ses vacances sur le yacht de Tony Accurso quelques mois avant que la Ville octroie au consortium codirigé par ce dernier un contrat de 335 millions de dollars pour l'installation de compteurs d'eau. Précisons au passage que le yacht de M. Accurso se loue 60 000 $ la semaine, soit 1,5 fois le salaire annuel moyen d'un travailleur québécois.

Zampino a reconnu que cette "maladresse" pouvait avoir l'apparence d'un conflit d'intérêts. Le reste du scandale, c'est encore la faute aux médias. Peut-être. Mais ce que le monsieur a fait n'est pas la marque de ce qu'on serait en droit d'attendre d'un haut placé de la politique municipale. C'est proprement médiocre.

Et tant qu'à parler d'éthique, le gouvernement Charest vient de mettre à jour le code d'éthique que devront suivre les ministres. En fait, il a été assoupli pour que, désormais, les ministres puissent demeurer propriétaires d'une entreprise qui fait affaire… avec leur propre ministère! Tout ça, car il semble que la situation actuelle d'UN ministre du cabinet Charest l'exige.

La médiocrité vient d'atteindre un nouveau sommet

J'en suis convaincu, les interprétations créatives de l'éthique, les "maladresses" et les "erreurs de jugement" seraient moins fréquentes dans la classe politique si elle était composée de gens moins bof.

Il y a la rançon de la gloire. Il y a aussi la rançon de la médiocrité.