Québec rapaillée
Angle mort

Québec rapaillée

En voulant moderniser l'image de la ville de Québec, le maire Labeaume a fait rire de lui tout l'hiver.

Il faut dire que l'expert engagé pour psychanalyser la Vieille Capitale, Clotaire Rapaille, a fourni plusieurs belles occasions de se taper sur les cuisses.

Infoman a parti le bal en résumant les déclarations du personnage par une série de bruits de bouche. Ainsi, pour Rapaille, Québec est: "Wow! Wouh… Brrrrrr! BOUM!"

Le même Infoman a aussi démontré avec quelle aisance l'expert à un quart de million de dollars pouvait produire ce que l'on nomme de la bullshit.

Devant la presse, ce Français a déclaré que sa passion pour le Québec remontait à la Deuxième Guerre mondiale (terminée en 1945). Sa mère, à l'époque, lui chantait des airs de Félix Leclerc. L'ennui, c'est que le chansonnier n'a pas endisqué avant 1951. Avant cela, personne au Canada ne pouvait logiquement fredonner ses chansons. Imaginez en France.

Ce qui a fait dire à Jean-René Dufort: "Voici 30 secondes de bullshit, imaginez tout un contrat." Paf!

Continuons. Après avoir fait s'étendre des participants et leur avoir demandé de saisir l'essence de Québec (sur fond de musique relaxante), le grand Rapaille a rendu publiques ses premières observations.

Selon lui, la population de Québec aurait un petit côté "sadomasochiste". Wow!

Si j'ai bien compris, à Québec, on prendrait plaisir à se trouver "petit", mais on sait qu'on peut se réveiller et devenir fier de sa ville.

On sent qu'on s'en va quelque part.

La semaine dernière, Clotaire Rapaille a reçu une autre "schlak!" au visage, cette fois de la part du gars qui a inventé l'expression "nation branding", Simon Anholt.

Dans une entrevue au Devoir, le chercheur britannique a jugé l'exercice auquel se livre Québec de "gaspillage de fonds publics". Ouch!

"C'est une idée naïve, a dit cette sommité en matière de réputation internationale. Je ne connais pas un seul exemple de ville qui ait réussi à changer son image de marque."

Les slogans, logos ou campagnes de publicité sont inutiles: la seule façon de changer la perception d'une ville dans le monde, selon Anholt, c'est d'agir, d'accomplir des choses, de sauter dans la modernité.

Vendre une ville

Les "meilleures" villes attirent les entreprises, les fonds étrangers, de nouveaux payeurs de taxes, des touristes, des événements d'envergure, etc. Et la concurrence entre les villes est féroce, d'où l'idée des élus municipaux d'améliorer l'image de marque de leur bourgade. C'est la grosse mode.

Aussi abuse-t-on, parce qu'on aime se comparer, de classements des villes les plus innovantes, les mieux gérées, les plus admirées, où faire des affaires, où il fait bon vivre.

Les villes gagnantes sont souvent européennes: Paris, Munich, Londres, Vienne, Amsterdam, Genève. Vancouver se glisse dans certains palmarès. Montréal aussi.

Pas Québec.

Les villes où il fait bon vivre sont généralement progressistes, tournées vers l'avenir, modernes… et vertes. Ce sont des villes comme Copenhague, dont le nom surgit régulièrement dans ces listes.

La capitale danoise a séduit tout un tas de journalistes étrangers qui s'y sont rendus pour couvrir le Sommet de Copenhague.

On a relevé le charme de cette petite ville où les citoyens sont souriants, où règne un étonnant sentiment de sécurité. On a salué cette cité écolo où le vélo est roi. On aime tellement Copenhague que certaines villes veulent maintenant se "copenhaguiser".

Parce que Copenhague inspire.

De taille comparable, Québec compte le plus de kilomètres d'autoroute par habitant au Canada.

Moins inspirant.

Le côté "progressiste" de Québec est aussi assez subtil.

Dans son essai Jeff Fillion et le malaise québécois (Liber, 2008), Jean-François Cloutier l'a souligné: Québec est une ville "au fond résolument conservateur" (voir le nombre de députés conservateurs et adéquistes élus dans le coin).

Depuis plus d'un siècle, Québec valorise surtout son passé glorieux, son patrimoine, ce qui lui a fait oublier d'évoluer. "[Cette ville] s'est endormie au milieu du dix-neuvième siècle pour ne se développer que très lentement et devenir de moins en moins dynamique", écrit Cloutier.

L'auteur va jusqu'à mettre ce déficit de dynamisme sur le dos du fort contingent de fonctionnaires qui peuplent la Capitale-Nationale: "Les gens à l'aise dans ce genre de milieu sont en général peu ambitieux, peu inventifs et passablement dociles", écrit-il. Ayoye!

Ajoutez à cela le sadomasochisme de Clotaire Rapaille, et vous obtenez une ville qui aura besoin d'un peu plus que d'une campagne de promotion pour devenir aussi inspirante que, disons, Copenhague.