Les McInsultes
Angle mort

Les McInsultes

Il y a le toujours pondéré maire Labeaume qui s'est fait coller une mise en demeure la semaine dernière. C'est parce que Régis a dit que certains fonctionnaires étaient "incompétents".

Il y a Jean Charest qui s'est choqué noir contre Gérard Deltell, l'impressionnant chef de l'Action démocratique du Québec. C'est parce que Gérard a dit du premier ministre qu'il était un "bon parrain du Parti libéral". "Parrain" comme dans "mafia".

Il y a le procès en diffamation impliquant le patron de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, et le président des services français de Radio-Canada, Sylvain Lafrance. C'est parce qu'en 2007, Sylvain a dit de Pierre Karl qu'il se "promenait comme un voyou" dans le dossier du financement du Fonds canadien de télévision.

Il y a aussi ce Maxime Roberge, obscur animateur dans une station du réseau RockMatante au Saguenay, qui s'est fait montrer la porte. C'est parce que Maxime a proféré sur Twitter un mot sale à propos de Cour de pirate. Un mot qui rappelle l'art du tricot, mais qui dans les faits concerne plutôt les organes reproducteurs féminins.

Certains semblent avoir pigé le truc: rien de tel qu'une insulte bien grasse pour faire la manchette. Et c'est ainsi que dans les journaux, ces jours-ci, on a l'impression de lire le verbatim d'une chicane de cour d'école primaire.

"C'est méchant, ce que tu as dit: excuse-toi!" "Non, je ne m'excuserai pas, bon." Blablabla.

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Freud a déjà dit que le premier homme à avoir jeté une insulte plutôt qu'une pierre était l'inventeur de la civilisation. Et comment!

L'ennui, c'est que les insultes récentes ne rendent pas honneur à cette civilisation millénaire.

Au fil des siècles, l'Homme a perfectionné toutes les techniques, domestiqué les bêtes, maîtrisé l'agriculture, repoussé les limites de la science et de l'art… Mais en ce qui concerne l'insulte, on a parfois l'impression que l'évolution est restée bloquée au niveau Cro-Magnon.

Parce que les grossièretés de la semaine dernière n'entreront pas au panthéon des grandes insultes. L'"incompétent" de Labeaume ou le "parrain" de Deltell font pic-pic à côté des 20 façons d'insulter le nez de Cyrano de Bergerac.

On est loin du raffinement du capitaine Haddock, et de sa bouche pleine d'ectoplasmes à roulettes, de concentré de moules à gaufres et de faux jetons à la sauce tartare.

Hélas, on en est encore le plus souvent au pipi, caca, plotte. Pitoyable. Nous avons droit à des injures d'amateurs. Du fast-food insolent. Des McInsultes… C'est vite dit, et ça tombe sur le cour.

Il me semble qu'en 2010, on serait en droit d'espérer un peu plus de sophistication.

En fait, c'est non pas des insultes qu'on nous offre en ce moment, mais des bêtises. Or, comme le disait Victor Hugo: "L'insulte intelligente est la seule insulte."

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Ce buffet d'invectives de piètre qualité est probablement l'effet combiné de la spontanéité et du populisme, deux grands courants culturels actuels.

On cherche à se faire remarquer, alors on en pousse une petite. Un doigt dans les côtes, et vlan! Trois éditoriaux.

Si l'on avait ne serait-ce qu'une once de considération pour l'art de l'insulte, on tournerait sept fois sa langue dans sa bouche avant de se faire l'auteur d'un prout-prout infantile. Dire du mal d'autrui n'est pas une chose à prendre à la légère.

Chercher l'inspiration dans le Dictionnaire des injures de Robert Édouard serait déjà un bon départ. Je suggère aussi l'Encyclopédie interactive des insultes et jurons français. Le responsable du site, James Delleck, se présente ainsi: "à force de jouer avec les mots, il est tombé amoureux des gros". (limpoli.fr)

Cela dit, peut-être qu'en mijotant ses insultes un peu plus longuement avant de les rendre publiques, on se rendrait compte que certaines sont moins prioritaires que d'autres.

C'est ce que la réflexion provoque souvent: du recul. On remet en question l'importance des choses. On évalue mieux le poids des mots. On précise sa pensée. On découvre des nuances.

Si Labeaume avait réfléchi un peu plus avant de traiter ses fonctionnaires d'incompétents, il aurait certainement mieux visé (et mieux atteint) sa cible. Il aurait ainsi pu nous surprendre avec un mot d'esprit, ou une savoureuse insolence. Il ne l'a pas fait. Il a plutôt sorti la première chose qui lui a traversé l'esprit et, aujourd'hui, il mérite sa mise en demeure.

Or, ce sont non seulement ses fonctionnaires, mais aussi l'insulte en tant qu'institution, qu'il a insultés.