Angle mort

C’est parce que c’est Quebecor

Si Bombardier avait commandité le futur amphithéâtre de Québec, le Parti Québécois ne serait pas en train de quasiment imploser.

Et les querelles entre les "Nordiques Nation" et ceux qui souhaiteraient que l'argent public soit dépensé selon les règles n'auraient pas pris un tournant aussi émotif.

À quand remonte la dernière fois où un mécanisme d'appel d'offres douteux a à ce point enflammé l'opinion publique?

Je n'ai pas vu le citoyen moyen faire une syncope lorsque la STM, dans l'octroi du contrat pour les nouveaux wagons du métro, a forcé les soumissionnaires à proposer des wagons à pneumatiques (une technologie désuète), juste pour se débarrasser de la chinoise Zhuzhou (qui fait dans les roues d'acier).

C'est que la STM voulait Bombardier, avec qui elle avait déjà négocié avant l'appel d'offres. Elle s'est arrangée pour que le deal (qui pourrait friser les 2 milliards de dollars) ne déraille pas.

On parle ici d'un investissement public pas mal plus élevé que pour l'amphithéâtre. Pourtant, hormis Amir Khadir qui s'est offusqué deux minutes cet hiver, il n'y a pas tellement eu de grimpage dans les rideaux.

Parce que tout le monde aime Bombardier et que tout le monde voulait qu'on patente l'appel d'offres à son avantage.

Concernant l'amphithéâtre, une des raisons pour lesquelles les contribuables à l'extérieur de Québec se sont soudain découvert une passion pour le favoritisme dans les appels d'offres, c'est parce que c'est Quebecor.

"Pas encore Quebecor!"

Quebecor a beau posséder le quotidien no 1 au Québec, le réseau de télé no 1, les magazines les plus lus, le premier câblodistributeur québécois et j'en passe… il reste un domaine où l'Empire a des croûtes à manger et c'est celui des perceptions.

Quebecor compte parmi les grandes entreprises les moins aimées des Québécois, selon le plus récent sondage Léger Marketing sur les sociétés les plus admirées.

Ces résultats ont été dévoilés en février dernier dans le journal Les Affaires.

Si ses filiales Archambault (35e entreprise la plus admirée) et Vidéotron (102e) sauvent les meubles, les autres font carrément pic-pic.

TVA (128e) arrive loin derrière Radio-Canada (21e), Télé-Québec (44e) et Astral Media (45e). Même le vendeur de cochonneries Dollarama (126e) est plus aimé que "le vrai" réseau.

La Presse (29e) et Le Devoir (54e) s'en tirent bien du côté des quotidiens. Il faut par contre dégringoler jusqu'à la 241e place pour trouver Le Journal de Montréal!

Le prix de l'amour

Pierre Karl Péladeau serait mal avisé de minimiser l'ampleur du dégoût que son entreprise suscite au sein d'une frange importante de la population. Non, il n'est pas payant d'être mal aimé.

Les experts dans le domaine des perceptions font de plus en plus le lien entre la valeur boursière d'une société et le degré d'amour du public envers celle-ci.

Il y a quelques années, Peter Boatwright et Jonathan Cagan, auteurs du livre Built to Love et professeurs à l'université Carnegie Mellon de Pittsburgh, écrivaient qu'entre "1997 et 2007, plus de 80% des investisseurs qui ont investi dans des entreprises aimées (high-emotion companies) ont obtenu de meilleurs rendements que l'indice Dow Jones, NASDAQ et S&P 500".

L'argent mène le monde. Les émotions aussi.

L'omniprésence indigeste

Quebecor est en train de vivre un des périls de la convergence.

Car j'ai l'impression que la cause de cette faible estime publique envers elle est en même temps l'unique raison de son succès: son omniprésence.

En assoyant son gros cul convergent dans toutes les sphères de l'industrie culturelle et médiatique, Quebecor finit par susciter un malaise.

Je ne discute même pas des produits discutables de certaines de ses filiales. C'est une stricte question de poids.

N'importe quelle autre entreprise qui aurait décidé de suivre la stratégie de Quebecor aurait aussi fini par écourer le peuple.

Imaginons Bombardier, notre fleuron de l'aéronautique, la 9e société la plus admirée des Québécois, celle qui va construire les nouveaux wagons du métro.

Imaginons qu'elle ait décidé de se concentrer sur le Québec. Imaginons qu'elle ne se soit pas contentée de fabriquer des avions, mais qu'elle ait aussi décroché un contrat public pour la gestion exclusive de l'aéroport PET. Puis, imaginons que tant qu'à avoir des avions pour emmener des gens quelque part, elle ait décidé d'explorer l'industrie touristique, qu'elle se soit mise à ouvrir des tout inclus Bombardier Resort & Spa à Varadero et à la Riviera Maya, qu'elle ait créé BombardierToGo.com, un site d'achat de billets d'avion, qu'elle ait lancé une gamme de sacs de voyage Bombardier (dont la taille est compatible uniquement avec les soutes à bagages des avions Bombardier).

On en aurait eu plein le casque de Bombardier.

Et la dernière chose qu'on aurait souhaitée, c'est qu'elle remporte un appel d'offres suspect pour construire le train menant du centre-ville à l'aéroport.