Lettre à Paul Desmarais
Antidote

Lettre à Paul Desmarais

Nous sommes de fiers actionnaires de Power Corporation bénéficiant habituellement, année après année, de l’excellente performance de l’entreprise que vous dirigez. Cependant, nous sommes moins fiers d’une partie des investissements de l’entreprise réalisée au sein de Total, la plus grande pétrolière française, qui a des intérêts importants dans le gazoduc Yadana en Birmanie, exploité en partenariat avec le gouvernement de Birmanie. Lors de la dernière assemblée d’actionnaires, Power détenait un peu moins de 4 % des actions de Total à travers une filiale, cet engagement étant bonifié par le fait que vous siégez au conseil d’administration de Total.

Selon les propos mêmes de Christophe de Margerie, PDG de Total, la junte birmane perçoit la moitié de ses ressources financières des deux gazoducs en fonction en Birmanie, dont l’un est cogéré par Total et Chevron. Les redevances annuelles payées au gouvernement birman par la filiale Total Myanmar Exploration and Production représentent un minimum de 200 millions de dollars. Dans ce contexte et en vertu de l’engagement que Power a pris sur son site Web de favoriser le respect des droits de la personne, vous serait-il possible de transmettre formellement et publiquement une lettre à la direction de Total à l’effet de cesser les opérations du gazoduc jusqu’à la chute du régime birman?

L’arrêt de ce projet pourrait avoir un effet à court terme sur les revenus de Total, et donc sur les revenus de Power, mais la continuation des opérations aurait des effets négatifs encore plus grands en prêtant le flanc à d’éventuels recours juridiques et à des boycotts de consommateurs et d’investisseurs qui pourraient entacher la réputation comme la valeur de Total et Power.

LE DROIT INTERNATIONAL

En effet, une certaine jurisprudence rend de plus en plus crédibles des accusations de complicité avec des États violant les droits humains, surtout dans le cas birman. Comme vous le savez, Unocal, maintenant propriété de Chevron, partenaire de Total dans le gazoduc de Yadana, a dû accepter de payer un montant significatif en guise de réparation dans le cadre d’une entente hors cour pour éviter un procès devant la cour américaine lors duquel elle aurait été accusée de bénéficier du travail forcé illégal en vertu du droit américain et international.

L’ONU définit la "complicité" comme étant minimalement un des deux états de fait suivants: ignorer sciemment une violation des droits humains ou fournir une assistance qui aura un effet substantiel pour perpétrer une violation des droits humains. Il faudrait se fermer les yeux pour ne pas voir dans la relation de Total avec le gouvernement birman un risque élevé de contrevenir à au moins un de ces principes.

LE BOYCOTT

De nombreux boycotts sont organisés par des groupes de consommateurs et d’investisseurs, même si certains soutiennent que le boycott a des effets négatifs sur la population. Dans le contexte où 50 % du budget du gouvernement birman va à son armée et que seulement 3 % va à l’éducation, la population a peu à perdre d’un tel boycott. Ce constat est renforcé par le fait que la leader du mouvement démocratique et Prix Nobel Aung San Suu Kyi a elle-même appelé au boycott. L’exemple de l’Afrique du Sud, où le boycott a eu raison de l’apartheid, reste à l’esprit de tous, même du président français Nicolas Sarkozy qui a demandé à Total de geler ses investissements.

Vous savez aussi qu’un grand nombre de vos actionnaires institutionnels ont maintenant des politiques très explicites qui vont dans le sens de notre demande. C’est le cas notamment de la Caisse de dépôt qui a signé les Principes pour l’investissement responsable développés par l’ONU qui l’engagent notamment "à être active et prendre en compte" ces questions sociales dans ses pratiques d’actionnaire.

Nous sommes convaincus que vous saurez apprécier l’intérêt de cette proposition constructive et espérons que vous assumerez votre rôle de leader pour protéger et renforcer la confiance des citoyens et des actionnaires envers cette merveilleuse et très rentable entreprise qu’est Power.