Complètement Martel

Job sale

La route était sombre et loin derrière moi, je voyais dans le rétroviseur le gyrophare d’un véhicule de la SQ. La police pis moi, on allait à la même place.

Je me suis stationné à une centaine de mètres de mon objectif et j’ai marché jusque-là en fumant une cigarette, les mains gelées par le froid de janvier qui te brûle la peau. Plus j’avançais, plus je remarquais qu’il y avait de l’agitation. Pour dire vrai, j’avais la chienne.

J’ai alors jeté mon «botche» afin de prendre mon courage à deux mains et j’ai traversé la ligne de piquetage.

J’avais décidé de passer ma première heure de 2012 avec les travailleurs de Rio Tinto Alcan.

Si j’avais la chienne, c’est que je ne voulais pas passer pour un scab. D’un naturel plutôt timide, j’ai bravé ma gêne et je suis allé piquer un brin de jasette avec un des travailleurs qui veillait au bord d’un feu de fortune.

On a parlé une bonne quinzaine de minutes, et alors que je les félicitais, lui et la vingtaine d’autres travailleurs qui étaient là, de passer leur jour de l’An dans de telles conditions, il m’a dit: «C’est rien, y en a 150 qui s’en viennent. Les vois-tu?»

Malgré ma myopie croissante, je pouvais les apercevoir au loin, se diriger d’un pas décidé mais calme à la fois. Et puis, aussitôt que les premiers travailleurs sont arrivés, une femme est venue voir mon interlocuteur: «Bon ben… on est en lock-out.»

Tout en lançant un regard au loin, l’homme du feu a dit: «On va vivre avec ça.»

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Je ne suis pas un expert en syndicalisme. Je n’ai pas mon diplôme en sciences économiques. Peut-être que je me plante complètement, mais c’est plus fort que moi, j’ai vraiment l’impression que le lock-out à l’usine RTA d’Alma écrira une page de l’histoire.

Malheureusement, je constate tous les jours qu’il y a plusieurs personnes qui n’ont pas envie de voir au-delà des événements. Le lock-out d’Alma est bien plus qu’une chicane de travailleurs qui désirent conserver leurs salaires grassement payés. En fait, si ce n’était que de ça, il n’y aurait tout simplement pas de lock-out. Les gars auraient fermé leur gueule et se seraient dit: «Pis fuck, après moi le déluge.»

En fait, le lock-out a une portée symbolique. C’est le moment dans l’histoire du Québec où des travailleurs en ont juste plein le cul de voir une multinationale nous engloutir doucement.

Le gouvernement accorde des passe-droits à toutes les grandes compagnies et en retour, celles-ci ne sont même pas foutues de respecter leur seul véritable engagement: garantir un nombre X de bonnes jobs aux citoyens. Tandis qu’on crève silencieusement de cancers louches – qui n’ont sûrement rien à voir avec les émanations invisibles des usines -, les multinationales comme RTA coupent sournoisement des grosses jobs pour les remplacer par de la sous-traitance. En d’autres mots, on recule de plusieurs décennies pour revenir au cheap labor.

Je ne pense pas que je gagnerai un jour l’équivalent du salaire des syndiqués de RTA, et pourtant, je profite de cette abondance en tant que citoyen. Cet argent-là finit dans nos poches d’une façon ou d’une autre.

Ce n’est pas un hasard si les lock-outés espèrent plus que tout que la population se mobilise en leur faveur, parce qu’au final, ce qui est au cœur du combat vaut bien plus que de l’argent.

Ça n’a juste pas de prix de se faire respecter en tant que collectivité.

Et sans ça, on apprendra rapidement de nouveaux synonymes au mot esclavage.

Maintenant, que l’on soit ou non en faveur des lock-outés chacun a droit à son opinion. Toutefois, la honte revient au gouvernement, qui se contente pour l’instant de jouer les Ponce Pilate et de laisser la job sale aux travailleurs.

Me semble que quand il faut que tu te décontamines en sortant de l’usine, t’as déjà pas mal fait ta part.