Complètement Martel

Fast-food et douce révolution

J’ai marché avec ma ville.

J’ai marché avec des milliers de citoyens. J’ai partagé les rues d’Alma avec les travailleurs en lock-out de Rio Tinto Alcan. J’ai croisé les regards inquiets de leurs femmes, de leurs maris, de leurs enfants et même de leurs amis.

J’ai aussi marché avec des étudiants qui, la veille, s’étaient fait dire par l’appareil judiciaire de cesser leurs enfantillages et de retourner à l’école. À leur âge, j’en aurais été rouge de colère. J’aurais littéralement bouilli. Et probablement qu’un de mes confrères de l’époque aurait réagi de façon extrême et que là, nous aurions stupidement donné raison à nos détracteurs, qui auraient enfin pu dire: «Tu vois, ils font juste ça pour foutre le bordel!»

Mais eux affichaient un air serein et réfléchissaient déjà à une solution.

Le lundi suivant, certains d’entre eux ont défié la décision de la cour en bloquant l’accès aux salles de classe avec du mobilier et, de ce fait, nous ont permis de voir beaucoup plus clair en ce qui a trait à nos médias locaux. D’un côté, Radio-Canada décrivait les actions de ces étudiants de façon très posée (ils ont empilé des meubles), tandis que les très «rigoureux» journalistes de Quebecor ont démonisé le tout en utilisant des termes directement associés à la violence tels que saccager ou vandalisme. Enfin, en guise de cerise sur le sundae, ils ont insinué que d’éventuels meurtriers faisaient partie du lot. Ici, je n’invente rien, malheureusement.

J’ai donc marché avec ces jeunes en pleine ascension meurtrière – ironie, quand tu nous tiens – et étonnamment, c’était une sensation de calme qui m’habitait.

D’ailleurs, c’est ce qui m’a frappé lors de cette grande marche du 31 mars. La paix. Rien de «hippiesque», mais juste de la paix dans le sens le plus brut qui puisse exister.

Curieusement, la grande majorité des participants à cet événement était constituée de gens au bout du rouleau, mais la haine ne semblait pas avoir réussi à gagner leurs cœurs. Et c’est justement là le plus grand défi lorsqu’une révolution sociale s’installe dans la population. Les hauts dirigeants n’attendent que des débordements hostiles à vrai dire.

Un peuple qui se laisse emporter par la colère devient un peuple vulnérable. Celui qui garde la tête haute face à toutes les embûches que l’on met sur son chemin ne perd pas de vue sa destination.

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Lorsque j’ai quitté la marche, je repensais à tous ces visages que j’avais vus. Je pensais à celui du gars qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à Amir Khadir et qui, finalement, était véritablement Amir Khadir.

Je songeais à la mascotte du A&W qui présentait son soutien aux manifestants tout en leur rappelant le spécial sur les Teen Burgers.

J’essayais de me mettre dans la tête des agents de police qui tentaient de dissimuler leur étonnement quant à la foule imposante et qui devaient se dire quelque chose comme: «Dans le grand livre de l’Histoire, je suis condamné à demeurer un numéro de page parmi tant d’autres.»

Je me réjouissais du souvenir de ces gens qui filmaient la marche et constataient de leurs propres yeux que le lock-out et la grève étudiante étaient désormais les causes d’un peu tout le monde.

Et puis, j’ai pensé à tous ces commerçants qui devront fermer boutique, si ce n’est déjà fait, à cause du conflit qui s’éternise.

Et lorsque je suis passé en avant du McDo, j’ai aperçu un gars arborant un V-neck qui sortait du restaurant. Juste à sa façon de me regarder, j’ai tout de suite suspecté un profond dédain à mon égard. Ça aurait été vous ou votre avocat, et il aurait agi de la même façon. Avec l’âge, on finit par les détecter d’un seul coup d’œil, ces agents d’inertie. Ils prennent toutes les apparences possibles, mais leur regard les trahit chaque fois.

Ce jour-là, j’ai marché avec presque toute ma ville.

Ne manquait plus que le gars au V-neck.