Des clics et des claques

Fiction sur le web: de Carrie à Karl Hardy

À l’ère du «stunt» et du pétage de coche, plus rien n’échappe à une logique de mise en scène. 

Les spécialistes en marketing ont probablement calculé le temps nécessaire entre chaque « stunt » publicitaire, question de faire passer le scepticisme naturel qui suit un succès viral. Cette technique, dans laquelle on voit des pauvres quidams pris à leur insu dans un piège médiatique prétendument hilare, interpelle rapidement les internautes, et pour cause. Il s’agit d’une façon implicite de demander à tous les spectateurs « Et vous, comment auriez-vous réagi? ».

La réponse probablement véridique à cette question serait : « Selon le scénario ».  Il est difficile de croire en la véracité de ces coups publicitaires, mais pour les médias, cela n’importe plus. Un agrégateur de contenu, ou un média rapportant constamment des nouvelles à ses abonnés, ne peut pas passer à côté d’un tel contenu : le moment où quelques influenceurs commencent à le partager, ils doivent embarquer : la vérification se fera plus tard, une fois la tempête passée, lorsqu’il n’y aura plus d’intérêt pour la chose.

Il est difficile de vérifier la véracité des propos des intervenants. Pour le coup de LG, la réaction fut immédiate : une télévision présente une image statique qui ne change pas selon notre positionnement. Une fenêtre nous présente de nouvelles informations dépendant de notre déplacement. Les candidats à l’embauche auraient donc perçu que c’était une télévision, même si c’est une extraordinaire télévision. Et LG a déjà diffusé un « stunt » dans un ascenseur qui s’est rapidement vu critiquer par la communauté en ligne pour être très peu crédible. Si celui-ci est évidemment faux, pourquoi croire en la véracité du premier?

Pour ce qui est de la fille dans l’ascenseur et la télékinésie dans le café, j’envisage mal la responsabilité légale des agences de marketing en question : comment s’assurer qu’un client dans l’ascenseur ou dans le café ne sorte pas soudainement un fusil pour se défendre (aux États-Unis, est-ce si improbable?) ou ne souffre d’une quelconque crise aiguë dû au choque strident de voir un fantôme devant soi?

À mon avis un tel coup présente trop de risques pour laisser des êtres humains aléatoires être confrontés à des situations hautement stressantes…Le site web de The Blaze a fait quelques recherches, et émis ses théories, mais elles ne sont pas concluantes. Et du côté du Brésil, la compagnie Silvio Santos a sorti une autre vidéo dans un ascenseur, mais cette fois-ci, avec un cercueil qui apparait soudainement après la panne…crédible?

Mais quel rapprochement peut-on faire entre Carrie et Karl Hardy? C’est que dans les deux cas, il s’agit de la prédominance du divertissement et de l’importance absolument négligeable de la vraisemblance.

Le pétage de coche est devenu si récurrent dans le monde du WebQc qu’on pourrait en décerner des prix. Mais outre la revendication ponctuelle, il s’agit surtout de deux choses : un opportunisme viral (à traiter immédiatement d’un sujet chaud) et une performance artistique. Je dis performance artistique parce que, réellement, de quoi d’autre pourrait-il s’agir dans cette vidéo de Karl Hardy? C’est tellement creux que c’est profond.

Que faire, aussi, de l’indignation de Stu Pitt par rapport à un nombre insatisfaisant de morceaux de poulet qu’il ramène de l’épicerie? La vidéo, dans laquelle il accuse même Pauline Marois, a été partagée 510 fois sur Facebook, une portée importante au Québec. Et c’est peut-être l’espoir qui me fait dire que Le champion des épais exagère probablement un racisme plus modéré dans le seul but d’avoir des clics et des partages (mission accomplie). On observera bientôt les effets de l’indignation sur commande, jusqu’ici on ne peut pas en connaître les impacts réels, à mon avis.  Mais ça ressemble un peu à du happy slapping idéologique (mode ayant eu lieu il y a quelques années, dans laquelle des gens se filmaient en train de donner des claques à des étrangers avant de mettre le tout en ligne).

J’ai l’impression qu’on fait face à des Andy Kaufman inconscients qui versent dans l’art performance sans trop le savoir. Et autant dans les cas des « stunts » que des « pétages de coche », il s’agit de fictions plus ou moins vraisemblables qui deviennent immédiatement virales. Leur véracité devient secondaire, seul l’effet immédiat compte. On connaîtra plus tard les conséquences d’une indignation sur commande. Mais apparemment, la caméra semble stimuler immédiatement le jeu d’acteur.

La seule personne qui se fait prendre au jeu, finalement, c’est le spectateur envers qui on n’a aucun devoir de transparence ou véracité.