Pourquoi Guy A. Lepage ne jouerait-il pas à Watch Dogs?
Des clics et des claques

Pourquoi Guy A. Lepage ne jouerait-il pas à Watch Dogs?

N’est-il pas temps que le jeu vidéo soit traité comme un produit culturel à consommer au même titre qu’un album ou un film dans les médias québécois?

On est dans une petite chambre bien drabe. Un écran géant. Deux joueurs. L’un, visiblement plus expérimenté et fanatique de jeux. L’autre, un néophyte total, étranger au monde des jeux vidéo mais bien connu du public américain: Conan O’Brien.

Le célèbre animateur de talk-shows et ancien scripteur des Simpsons présente ces capsules sans gêne aucune: «Je n’y connais rien en jeux vidéo, je suis mauvais, et je n’aime pas ça. Et c’est pour ça que je vais en faire des critiques.»

Critique n’est pas nécessairement le mot juste. Il s’agit surtout de promotion efficace pour des jeux vidéo, principalement sur la console de la Xbox One (partenariat entre l’équipe de Team Coco et Microsoft?). Bien que Conan n’éprouve pas grand plaisir à jouer le jeu, le spectateur y ressentira un plaisir assez inévitable, qu’il soit un néophyte suivant Conan pour ses blagues efficaces, ou qu’il regarde la capsule pour des exclusivités et des aperçus de l’univers d’un jeu qu’il veut potentiellement acheter.

Je me demande, tandis que je déambule dans le champ de ruines que sont en train de devenir nos médias québécois, pourquoi il n’existe pas pareille initiative ici. Certes, les geeks et amateurs de jeux vidéo sont bien servis avec l’ineffable et l’indémodable M.Net, ainsi qu’avec leurs collaborateurs (de près ou de loin) des Mystérieux Étonnants. Pour des podcasts à saveur geek, on peut les retrouver, centralisés de manière bien efficace, sur RZO. Nous avons même des YouTubers comme Améliane Chiasson, entre autres, qui joue en direct et qui enregistre ses propres performances et réactions pour quiconque voudrait la voir en ligne.

Mais pourquoi on ne voit pas Guy A. Lepage faire des capsules où il joue à des jeux vidéo? Ou Véronique Cloutier? Les capsules avec Éric Salvail, pendant lesquelles il prend quelques boissons de trop en cuisinant avec une personnalité locale, relèvent somme toute de la même formule. Il existe visiblement un marché pour les livres de recettes, pour des émissions de chefs et pour tout autre art culinaire, et les capsules de Salvail desservent parfaitement plusieurs clientèles en même temps: c’est relativement edgy pour quiconque trouve que boire de l’alcool devant une caméra c’est coquin, et les invités de Salvail, comme le très éclaté François Bellefeuille, peuvent servir de pont pour les deux solitudes québécoises, c’est à dire les baby-boomers et tout le reste.

Si on peut le faire avec la cuisine, tandis que le tourisme vinicole et agricole se développent, tandis que nos recettes se raffinent, pourquoi ne le fait-on pas avec les jeux vidéo? Pourquoi n’y a-t-il pas de segments culturels avec des critiques de jeux vidéo dans des médias plus généralistes?

J’ai l’impression qu’on couvre de manière adéquate et enthousiaste l’industrie de la création de jeux vidéo au Québec, particulièrement à Montréal, avec le géant Ubisoft qui sort succès par-dessus succès. Mais c’est comme si on couvrait le tournage de X-Men: Days of Future Past à Montréal pendant des semaines mais qu’ensuite, on faisait silence radio sur le produit final, c’est-à-dire le film.

Grand Theft Auto V a été le premier jeu à atteindre le milliard de dollars en profits. L’accomplissement esthétique et le génie de développement nécessaires aux succès de jeux vidéo de plus en plus complexes, de plus en plus riches et de plus en plus produits localement, devraient sortir le jeu vidéo de sa pure niche de « geek » et de « gamer« . Et quand un consommateur est prêt à dépenser plus de 60$ pour un produit culturel spécifique, c’est-à-dire un jeu vidéo, comparé à ce qu’il est généralement prêt à mettre pour un album ou un film (de plus en plus, rien), on devrait contempler les possibilités de partenariats avec un enthousiasme qui ne s’arrête pas à la seule création du jeu vidéo, mais à sa consommation.

Et pas besoin d’être un expert ou un gamer pour transmettre l’amour du jeu vidéo à des potentiels consommateurs qui délaissent le contenu local pour un contenu international virtuel qui comble davantage leur besoin: il suffit simplement d’un bon communicateur, d’une belle petite idée, et il est fort à parier que le public québécois amateur de jeux vidéo sera au rendez-vous.

On pourrait essayer. Tant qu’à voir le bateau couler, autant explorer des eaux moins familières.