Des clics et des claques

Le caractère universel de Véronique Larin

La saga récente d’une jeune adolescente est-elle le reflet parfait de notre époque?

Il y a un peu plus d’un an, je compilais les chroniques défendant Facebook et notre rapport avec celui-ci. Une année à écrire des chroniques sur cette plateforme, à tenter de suivre l’évolution du Web tandis que son expansion exponentielle dépasse de loin les seules capacités de rétention d’information d’un seul individu, aussi bien intentionné soit-il, et je ne peux plus vraiment défendre le géant bleu, plutôt j’y vois l’incarnation explicite d’un mal moderne.

Il y a quelques années, Atom Egoyan sortait Adoration, un film dans lequel des protagonistes, étrangers pour la plupart, communiquaient sur Internet via webcam en créant une cacophonie relativement angoissante. Sa fiction ne s’est jamais vraiment approchée des déboires de notre réalité, comme nous l’avons vécu collectivement, ici au Québec, avec la saga épique et touchante de Véronique Larin.

Il m’est difficile de juger les gens pour leurs comportements maladroits, surtout lorsque ceux-ci sont liés à une tentative, même explicite, de récolter une validation de la part d’étrangers. J’en suis profondément coupable. Dans une de ses vidéos les plus répandues, la jeune fille de seize ans passe un temps fou à jouer avec ses cheveux, faire référence à ses habitudes sexuelles (réelles ou non), et à inviter les gens à s’abonner en faisant le décompte des possibilités de la suivre avec ses doigts avec le naturel d’une webstar américaine. Elle ne cesse d’indiquer qu’elle ne disparaîtra jamais, qu’elle vit sur l’attention des autres, empruntant des formules et des tons qu’elle pense probablement siennes mais qui font d’elle en fait l’incarnation frappante et probante des maniérismes d’une génération.

Il y a quelque chose d’aigre-doux dans sa dernière vidéo, ajoutée sur un second compte créé après que la police et la DPJ soient intervenus, l’obligeant à retirer du contenu dont je ne donnerai pas les détails ici.

C’est aigre-doux parce que, comme me le mentionnait Matthieu Bonneau, l’ex-restaurateur du Smoking Vallée qui a perdu son établissement après l’épisode de la croix à l’Assemblée Nationale (rencontré dans le cadre d’un tout autre dossier): «Avec Google, il n’y a pas de passé, il y a seulement un présent». J’ose espérer que les enregistrements de tierces personnes sont limités, et que ce contenu ne rejaillira pas trop souvent.

Mais la fille a retiré ses contenus. Quand on lui enlève le caractère hyper-sexué, quand on lui remet des vêtements et qu’on la place dans une chambre de fillette, il reste quand même ce besoin d’attention et de validation profond; elle passe un temps fou à rassurer cet auditoire malsain qui s’est regroupé autour d’elle en un temps record, comme un virus collectif, à dire à cette masse anonyme d’admirateurs et de pourfendeurs qu’ils devraient encore la suivre, même si elle va passer les prochaines semaines à parler de marqueurs à double couleur ou autre banalités trouvées ça et là dans sa chambre.

La grande ironie aussi de savoir que ce comportement sage va repousser bon nombre d’observateurs, dont les médias qui, sans nécessairement le vouloir, entretenaient clairement les besoins d’attention de cette fille en participant pleinement à la ruée de projecteurs dont la lumière était telle qu’on pouvait quasiment voir des brûlures en temps réel.

«Avec Google, il n’y a que le présent», je me le répète comme un leitmotiv. Combien de choses idiotes ai-je dit dans mon adolescence? Quoi, dans mon adolescence, combien ai-je dit de conneries cette année? Ma nature relativement parano et ma conscience de la nature surveillante du Web me mène à la retenue, mais ce n’est visiblement pas le cas pour la majorité des adolescents qui se sont regroupés autour de la page de Véronique, qui est devenue, un instant, non pas une fille ou un être humain, mais le symbole même de la promiscuité, l’incarnation parfaite de la petite fille pas-douce et pas-sage qui ne demande qu’à être punie pour des comportements sexuels qu’on ne devrait jamais juger, mais dont le jugement potentiel peut clairement satisfaire la carence en attention d’une jeune fille qui se promène dans une maison vide.

J’aurai du mal à juger les comportements hyper-sexistes des jeunes garçons et des jeunes filles qui l’insultaient. Si c’était méchant, ça m’inquiétait beaucoup moins que la présence qui ne se faisait pas sentir, celle de potentiels pornographes et proxénètes. La méchanceté des commentaires relève d’une certaine hypocrisie, à savoir qu’on s’abreuve d’un contenu d’une fille qui devient soudainement un fantasme collectif inaccessible, et dans un monde en plein mouvement, dans un monde qui évolue à une rapidité qui n’est égalée que par la lenteur du progrès de notre système d’éducation, il est difficile d’anticiper la consternation et la compassion automatique d’une génération à qui on expose, à chaud, un phénomène de vedettariat virtuel que nos prophètes de malheur des réseaux sociaux ont imaginé depuis des lustres.

Aurai-je été équipé, intellectuellement et moralement, pour faire face à ma propre Véronique Larin quand j’avais quinze ans?

Si son comportement est le reflet d’un certain conditionnement (et je pense qu’il l’est), les commentaires font partie de ce même phénomène. Ils en sont également le reflet. Comme une façon moderne de communiquer maladroitement.

Juste cette semaine, on commence à discuter explicitement des camions sans conducteurs, contrôlés par des robots beaucoup moins prompts à faire des erreurs de calcul, à s’endormir au volant ou à vouloir communiquer avec des êtres chers via texto. Dans cette même semaine, les géants du monde informatique se plaignaient officiellement des activités de surveillance de la NSA, en stipulant que la présence de cette autorité silencieuse pouvait potentiellement briser Internet.

Cette même semaine, une fille recevait des milliers de notification sur Facebook. Le grand géant bleu ne fait aucune discrimination entre l’attention positive et négative. Une notification est une notification. Un partage est un partage. Notre cerveau reçoit la même gratification momentanée à l’arrivé du petit décompte rouge peu importe ce qui le suit. Facebook récompense immédiatement certains comportements, peu importe ce qu’il inspire réellement chez les consommateurs et ce qui pousse un certain créateur de contenu à le présenter. C’est la petite drogue douce qui devient soudainement accessible en grande quantité, et qui nous perd dans un écran de fumée de likes et de partages.

Nous vivons dans un roman complexe et déchirant de science-fiction, tandis que les prophéties apocalyptiques se concrétisent à cause de l’activité humaine et son impact sur l’environnement. Les changements radicaux et profonds à propos de notre époque s’accumulent, trop rapidement pour documenter cette poussée Babelienne. Mais une ascension éternelle est impossible, et de plus en plus, je crains notre chute collective, je l’anticipe avec une triste résignation.

Likez, commentez, partagez. Je serai toujours, toujours là.