Desjardins

Ça sert à rien?

C’est la faute au froid, prétend-on de part et d’autre, comme pour se rassurer.
Le froid, vraiment? Presque la moitié des électeurs au Québec ont décidé de ne pas voter et ce serait en raison du froid?
Permettez-moi de douter.
De la même manière, on pouvait recevoir avec une certaine suspicion les arguments de ceux qui nous imploraient d’aller aux urnes, oscillant entre la gravité du devoir citoyen et le jovialisme démocratique (genre: «ouh oui, les ti-namis, c’est la grande fête de la démocratie», et croyez-moi, j’exagère à peine.).
On aura donc eu droit à un peu de tout. Le DGE, craignant le pire, a multiplié les sorties, les encouragements à voter sur tous les tons.
Et malgré cela, le pire fut.
De son côté, l’éditorialiste de La Presse, Mario Roy, tentait tant bien que mal de nous exposer qu’il valait mieux se rendre à l’isoloir pour annuler que de s’abstenir. Que de s’abstenir, ça sert à rien. Que la chose n’est pas comptabilisée, ou enfin, que si on ne vote pas, on n’existe pas, car on se perd dans la mer des «abstentionnistes pour toutes les mauvaises raisons».
Pourtant, ce que je lis ce matin, c’est ce taux record d’abstention. Ce que j’entends, ce sont des analystes qui auscultent la victoire des libéraux non seulement à l’aune de la faiblesse de leur majorité, mais aussi en regard du peu de crédibilité que peut conférer une si faible participation populaire.
Ce que j’entends, c’est le silence assourdissant de 44 % de la population qui s’est tue.
Énorme, vous dites?
Ne nous énervons pas trop non plus, et relativisons maintenant ce chiffre, en commençant par lui soustraire le 30 % d’«abstention normale»*, chiffre critique que nous ne dépassons à peu près jamais.
Cela nous donne dans les 14 %.
C’est plus d’une personne sur 10 qui n’a pas annulé son vote, mais qui n’a pas non plus refusé de voter parce que:
1) ce sont tous des menteurs; 2) ce sont tous des crosseurs; 3) la politique c’est de la marde; 4) anyway, ce sont les extraterrestres qui nous ont envahis depuis le 19e siècle qui tiennent véritablement les rênes du pouvoir depuis leur vaisseau mère dissimulé sur la face cachée de la Lune; 5) ils étaient partis à Cuba et avaient oublié de voter par anticipation; 6) faisait ben trop frette; 7) les enfants étaient malades.
Non, ceux dont je parle ici, ce sont environ 14 % des gens qui ont refusé de voter consciemment. Qui sont peut-être restés chez eux à contrecour, mais qui l’ont fait pour dire merde au vote stratégique à répétition. Merde à la politique comptable, au beige et gris des chefs, à l’absence de vision, au racolage médiatique, à l’improvisation cheap au gré des unes de journaux, aux clips à Mario, aux runnings à Pauline ou aux sparages des mains sur le volant à Charest. Plus d’un Québécois sur 10, peut-on supposer, a dit merde à cette manière de faire de la politique, et aussi: merde à cette campagne lancée sous des prétextes fallacieux.
Je le sais parce que j’en suis.
Le 8 décembre, nous sommes nombreux à n’avoir pas voté. Pas par oubli ni parce que nous avons cessé de croire à la démocratie. Bien au contraire. Seulement, cette fois-là, il nous a semblé que c’était la chose à faire. Que c’était le message à envoyer.
Nous l’avons fait, en espérant que cette fois, c’était aussi la dernière.
Peut-être nous sommes-nous trompés. N’empêche, ce que j’entends aujourd’hui, c’est que le pouvoir est affaibli par cette situation, et qu’on soupèse la légitimité d’un gouvernement libéral majoritaire quand la majorité est si faible, alors qu’autant de gens se sont abstenus.
Ce qui laisse croire que l’abstention volontaire est parfois aussi un geste en faveur de la démocratie.
Ah et au fait, les chiffres concernant les annulations et leur influence sur le résultat, vous en avez entendu parler, vous?

RESTRUCTURATION – Ce matin, ce sont 8000 emplois chez Sony qui disparaissent. Chrysler menace de fermer ses usines au Canada. Le Chicago Tribune et le Los Angeles Times perdent l’équilibre au bord du gouffre, coupent les deux tiers de la rédaction puis se placent sous le couvert de la loi sur la faillite. Le New York Times (qui a flushé une centaine de journalistes l’an dernier), lui, devra ré-hypothéquer son nouvel immeuble pour éponger sa dette.
Vous en voulez encore? La Banque mondiale s’avère plutôt pessimiste pour 2009. On n’est pas loin d’une récession mondiale. Craignant cette même récession, la Banque du Canada abaisse son taux directeur à 1,5 %, du jamais vu depuis 1958. La division des produits récréatifs de Bombardier passe 1000 emplois à la moulinette.
Ça doit être en raison des compressions budgétaires et de la restructuration des effectifs à l’interne là aussi, mais chez nous, il paraît que dans les quotidiens, on aurait fusionné les cahiers d’économie et la chronique nécrologique.
Sérieux, je m’en serais jamais aperçu.

*Je suis assez conservateur, ici. En fait, à la dernière élection, en 2007, le taux de participation était de 71 %. 70 % à la précédente, en 2003, et 78 % en 1998. On peut donc prétendre que le taux d’abstention «normal» se situe autour de 30 %. (Source: Radio-Canada)