Desjardins

L’odeur du napalm

Régis Labeaume est un peu comme le colonel Bill Kilgore, interprété par Robert Duvall dans Apocalypse Now.

Il aime tellement l'odeur du napalm au petit matin que s'il n'y avait pas de guerre, il en déclencherait une, juste pour le fun.

C'est d'ailleurs ce qu'il vient tout juste de faire.

Alors qu'il voguait calmement vers une victoire écrasante qui allait probablement aussi marquer la fin de toute vie utile au Renouveau municipal, sa principale opposition, Labeaume a tout de même décidé d'ouvrir les hostilités et de frapper sur ses rivaux, pourtant déjà à genoux.

Dans le régiment d'infanterie aéroporté du colonel Kilgore, vous vous en souvenez peut-être, on surfe, ou alors on tire sur l'ennemi. Régis Labeaume, lui, n'est pas du genre à surfer. Même sous les bombes. Remarquez que ce n'est pas une affaire de courage, mais plutôt de buzz, d'adrénaline. La chose relève de l'envie de respirer l'odeur du napalm à pleines narines au matin du 2 novembre.

À moins d'avoir passé les dernières semaines sous anesthésie générale, vous n'ignorez pas que le maire a ponctué la campagne électorale de coups d'éclat, jouant d'une main la partition lancinante de la nostalgie, et de l'autre, le vigoureux ragtime de l'avenir rayonnant. Salamalecs chez Gary Bettman, annonce du projet d'un nouvel amphithéâtre (surtout payé par le fédéral et le provincial, qui se prosternent devant le maire), chandail des Nordiques chez Jean-René Dufort: depuis quelques jours, la province au complet frétille d'impatience, comme des enfants de sept ans la veille de Noël, partageant cette même naïveté débilitante qu'induisent les contes de fées et les histoires de pôle Nord, de renne au nez rouge et de lutins.

Ç'aurait dû être suffisant. Mais non.

À ces annonces où la politique se confond avec le racolage cheapo, Labeaume ajoute un ultimatum.

Il faudra voter en masse pour lui, lui offrir une majorité écrasante, ou le projet tombe à l'eau.

Et voilà soudainement l'opposition, jusqu'ici ronflante et résignée au génocide, qui se réveille et crie au scandale. Elle déplore qu'on menace la population et, désormais consciente de sa proche extermination, rappelle qu'une ville, ça se dirige aussi dans une logique de débat d'idées et d'affrontements.

Le hic, c'est que cette opposition, à quelques exceptions près, se contente de dénoncer la manière, puisqu'elle partage les idées du maire. Et pour son malheur, ce sont justement ces manières qui plaisent à une population en phase avec le caractère explosif du tonitruant Régis.

Pire encore, en réagissant de la sorte, l'opposition joue le jeu de Labeaume, qui installe ses adversaires tout au sommet de la colline où il les attendait.

"Une fois, nous avons bombardé une colline pendant 12 heures", se souvient Kilgore dans le célèbre monologue livré par un Duvall qui incarne la mégalomanie et l'instinct du tueur à la perfection.

C'est exactement de cela qu'il est question ici, dans cette stratégie électorale: annihiler, pilonner, détruire, réduire à néant toute opposition. Régner en maître absolu.

Depuis quelques jours, Labeaume semble plus calme. Presque zen. Son ultimatum, il l'a livré avec l'assurance de celui qui traque son adversaire en sachant exactement quelle sera sa réaction, et comment lui agira par la suite.

Une victoire ne lui est pas suffisante.

Même sûr de lui, galvanisé par cette menace, lorsque Kilgore, ou plutôt Labeaume, marchera au sommet de cette colline déserte, rasée, il doit pouvoir respirer l'odeur de la victoire.

Mais il ne s'agira pas seulement des effluves enivrants d'un simple gain électoral.

Avec le concours d'une opposition à ce point végétative qu'on a presque envie de la déclarer complice, la victoire du maire qu'on pressent déjà écrasante risque de faire quelques dommages collatéraux.

Se mêlant à l'odeur d'essence du napalm, on risque aussi de deviner les relents d'une démocratie grillée juste à point.

SE CONSOLER – Rien à voir, vraiment, avec la politique municipale. Ma chronique de la semaine dernière sur la beauté, ou plutôt sur la laideur dans un monde obsédé par la beauté, m'a valu un abondant courrier.

Je reviendrai donc sur le sujet, mais vous invite aussi à me faire part de vos réflexions ([email protected]), ou de vos témoignages. Certaines ont déjà répondu à la question que je posais en toute fin: c'est comment, souffrir de sa laideur, et tirer son corps comme un boulet?

J'avoue que leurs histoires me sont rentrées dedans. Et plus fort que je ne l'aurais cru. Même lorsqu'elles sont des modèles de résilience ou d'espoir, la tristesse qui en émane m'a bouleversé.

Parmi les conséquences les plus fréquentes de la laideur: la solitude.

Dans son roman Eleanor Rigby (oui, comme la chanson des Bidules), Douglas Coupland donne la parole à Liz, 36 ans, grosse, moche, dont l'humour noir et la lucidité mordante n'aident pas toujours.

Les gens seuls aimeraient être morts, pourtant nous ne sommes pas tout à fait prêts à partir – nous ne voulons pas manquer le spectacle; nous voulons savoir qui va gagner les Oscars l'année prochaine. Plus sérieusement, les gens seuls, comme tous les êtres humains, meurent d'envie de rencontrer ce quelqu'un qui leur permettra de se sentir mieux dans cette prison de chair et d'os, véritable système répressif de l'âme, propre à notre espèce.

Étrangement, le ton ressemble beaucoup à celui emprunté par celles qui m'ont écrit. Même aigreur, même décalage. Même résignation, aussi.

Finalement, se peut-il que, dans la prison de leur solitude, les taulards de la dictature des corps compensent par l'humour, mais surtout, en aiguisant leur regard sur le monde? Et s'ils pouvaient échanger cette intelligence contre un corps splendide, le feraient-ils?