Du haut de la King

Il faut sauver la Wellington Sud

Un de mes vieux profs de cégep se plaisait à raconter cette instructive anecdote, dont je n’ai jamais vérifié la véracité question de pouvoir la reprendre à mon compte sans avoir à porter l’odieux d’un possible mensonge lorsque je me transforme en guide touristique. Selon lui, l’Université de Sherbrooke devait ériger ses murs au centre-ville (à peu près là où se trouve aujourd’hui le supermarché Maxi), jusqu’à ce que la pudibonde Église catholique ne s’oppose, soucieuse du sort de ses estudiantines ouailles qu’il fallait à tout prix éloigner de la décadence faisant loi dans ces rues d’alcool et d’obscénité. Anecdote pratique pour expliquer en deux coups de cuillère à pot l’allure si peu universitaire du centre-ville de Sherbrooke-ville-universitaire.

Et chaque fois que je remets les pieds dans cette Wellington Sud désertée, rayonnante comme Bagdad après un raid américain, je me signe ironiquement de la croix en maudissant les cathos sans qui le centro – j’aime me l’imaginer – fourmillerait des deux côtés de la King d’une kyrielle de cafés où refaire le monde, de librairies parallèles, de coops et de bars-spectacles cool, tous peuplés d’étudiants. Même l’allergique au discours chagrin que je suis ne peut s’empêcher d’avoir envie de pourfendre Sherbrooke chaque fois qu’il doit traverser la Wellington Sud, petite sœur white trash d’une Well Nord qui s’est, elle, reprise en main. Ça m’est encore arrivé la semaine dernière, en rentrant vers les bureaux de Voir Estrie (sur Well Nord) depuis le Centre des arts de la scène Jean-Besré. Une excursion désespérante, jusqu’à ce que vous atteigniez le Liverpool, pour qu’ensuite la civilisation reprenne ses droits.

La distance entre la colline universitaire et le centre-ville de Sherbrooke serait ainsi responsable de sa faible fréquentation par les étudiants. Vrai qu’une bonne partie des futurs diplômés se contentent de traîner leur paletot dans leur appart le dimanche soir, pour mieux rallier leur lointaine contrée le vendredi, à la fin des classes, sans jamais quitter les alentours de l’institution. Je m’inclinerais volontiers devant cette lecture géographique si ce n’était du succès retentissant de la microbrasserie Siboire, faculté officieuse de l’UdeS, qui célèbre ces jours-ci son cinquième anniversaire et à laquelle je lève ma pinte de Capricieuse. Ses proprios peuvent s’enorgueillir d’avoir mis au monde le plus beau succès de la vie nocturne sherbrookoise depuis au moins 10 ans, mélange de terroir, de convivialité et de patrimoine qui incarne brillamment l’esprit de la région. Un authentique modèle… qui tarde pourtant à souffler un vent d’émulation sur cette Well Sud décatie, pas loin pourtant, comme il était permis de l’espérer.

J’ai quelques ex-grungeux d’amis qui n’ont pas pu s’empêcher d’essuyer – avec le coin de leur vieille chemise carreautée – une larme en apprenant dans La Tribune du 17 octobre la destruction prochaine du bâtiment qui logeait Les Graff, haut lieu de la musique assourdissante où il faisait bon danser le pogo. Ma réaction? Tant qu’à avoir un bulldozer dans le coin, pourquoi ne pas aussi réduire en poussière quelques autres hideux bâtiments, comme cette shed en carton-pâte, ancien bar de danseuses, qui redéfinit chaque année la notion de laideur. Pardonnez le cri du cœur: il faut sauver la Wellington Sud.