Grandes gueules

Échec et maths

Il n’y a rien à dire contre la démocratie, sauf qu’on ne l’a jamais essayée.
– Georges Bernard Shaw

Ils disent: une majorité de 50% plus un, c’est insuffisant pour briser un pays.

Ils disent: les règles démocratiques habituelles ne s’appliquent pas à une chose aussi grave que la sécession d’une province.

Ils disent: même le congédiement d’un directeur d’hôpital exige l’assentiment des deux tiers du conseil d’administration.

Ils disent:: «On ne joue plus!»

Et quand ils ne savent plus quoi dire, ils citent de lumineux exemples de démocratie avancée, qu’il s’agisse des statuts internes d’un club de quilles ou du code d’éthique d’une association d’éleveurs de perroquets bègues.

Qui ça, ils? Beaucoup de monde, à vrai dire. Peut-être vous, moi, le petit Jésus, même, s’il existait. Soixante pour cent des Québécois partageraient leur avis, selon les derniers sondages. Ce n’est pas rien, ça. Une majorité claire, une vraie.

Et elle n’est pas silencieuse.

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Sortez vos calculatrices et dépoussiérez vos vieux livres d’algèbre.

L’indépendance, ce n’est plus un projet, mais une équation mathématique. A combien doit-on fixer

la barre pour que le Québec atteigne sa majorité?

Les paris sont ouverts.

Les conciliants disent 60%.

Les puristes optent plutôt pour 66%.

Stéphane Dion, pour sa part, exigera bientôt 110%.

Le pire, c’est que l’histoire du pays ne peut guère servir d’exemple.

– En 1867, le brouillon de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, qui présida à la formation du Canada, fut adopté par une simple majorité de députés. Pas de référendum. Pas de calculs compliqués. Pas de tataouinage. Un simple vote du Parlement.

– En 1949, Terre-Neuve entra dans la confédération canadienne à la suite d’un référendum où 52% de la population s’était prononcé pour le OUI. Il ne viendrait à l’idée de personne de contester aujourd’hui la légitimité de ce scrutin. Le Canada, n’en déplaise à Jacques Parizeau, c’est comme une cage de homards. Il est plus facile d’y entrer que d’en sortir.

– Plus près de nous, en 1988, l’Accord de libre-échange canado-américain devint réalité à la faveur d’une élection fédérale quasi référendaire qui donna au parti conservateur une majorité de sièges avec 43% des voix. Les trois principaux partis d’opposition, tous adversaires de l’accord, réunirent près de 57% des suffrages exprimés. Les opposants se soumirent pourtant au verdict populaire. Même les libéraux fédéraux, après avoir songé à utiliser le Sénat pour bloquer l’accord, finirent par se rendre à l’évidence.

«La marge est décisive et le mandat est clair: mettre en ouvre l’accord de libre-échange (…), avait dit le premier ministre, Brian Mulroney.

***

Je vous le concède: dix ans, en politique, cela équivaut à une éternité.
En 1988, Guy Bertrand était encore indépendantiste.

Lucien Bouchard faisait sensation comme ministre conservateur et fédéraliste.
Et personne, je dis bien personne, ne songeait à exiger que les méchants séparatistes québécois obtiennent soixante pour cent des suffrages lors d’un référendum sur la souveraineté.

Alors, si vous le voulez bien, mettons le passé de côté. Oublions que la constitution canadienne de 1982, adoptée sans l’assentiment du Québec, n’a jamais fait l’objet d’une consultation populaire. Laissons les fantômes dans le placard.

Parlons du Canada d’aujourd’hui, ce pays que l’on pourrait croire plus vertueux qu’auparavant si les scrupules démocratiques n’y avaient pas surgi dans la foulée du dernier référendum.
Avant, personne ne croyait sérieusement que les souverainistes pouvaient gagner. Ceci expliquant peut-être cela, on ne chipotait pas sur la majorité nécessaire.
Mais depuis le soir du 30 octobre 1995, alors que les éternels perdants sont venus à quelques dizaines de milliers de voix près d’obtenir une majorité, les choses ont bien changé.
Les règles du jeu sont devenues suspectes.

Et notre démocratie, jusque-là décrite comme exemplaire, apparaît soudain primitive.
Élémentaire. La démocratie, même les pires dictateurs vous en chanteront les louanges quand ils sont assurés de remporter les élections. Il n’y a que ceux qui acceptent la perspective de la défaite qu’on peut qualifier d’authentiques démocrates.

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Question sans réponse.

Je ne la pose pas pour cracher dans la soupe ou pour vous embêter, mais que fait-on si seulement 50% plus un des Québécois considèrent qu’une majorité de 50% plus un suffit pour déclarer l’indépendance?

Allez, un peu de courage. Relisez cette question trois fois et essayez de me dire que vous n’avez pas mal à la tête…

J’ai une idée. On enlève les fusibles et on joue une partie de cartes dans le noir en attendant qu’un nombre suffisant de gens finissent par y voir clair.

En attendant, je vais aller voir si un cachet d’aspirine ne traînerait pas par-là…