Grandes gueules

Une pub pour la racaille

Écrivain

En réponse à Isaac Isitan, réalisateur du documentaire Gangs: la loi de la rue, diffusé sur les ondes de TV5 la semaine dernière.

Dans Voir du 4 novembre, nous avons été nombreux à lire l’entrevue qu’un certain Isaac Isitan a accordée en vue de la diffusion de son reportage – reportage dont le but avoué est non pas de nous informer, mais plutôt de participer à cette vaste opération de manipulation mentale qui voudrait nous faire croire que les pires criminels sont des «êtres humains comme les autres», voire les pathétiques «victimes» d’une «société injuste».

Si vous le voulez bien, j’engagerai une sorte de dialogue avec ce «journaliste», en me contentant de rapporter quelques-uns de ses propos.

* «Ce n’est pas complètement mauvais de vivre au sein d’un gang. C’est une extension de la famille, c’est un milieu gratifiant.»

Ainsi, se faire violer par un troupeau d’ordures n’est pas complètement mauvais; un tel troupeau où règnent brutalité et esclavage est une forme de famille; et tuer, voler ou se vider les couilles sur une adolescente solidement maintenue est une expérience gratifiante.

* «J’ai voulu démontrer que la répression est inutile, mais que le dialogue est possible. J’ai appris pendant mon tournage que celui qui s’arme est celui qui se sent le plus faible. Utiliser les méthodes fortes les amènerait donc à s’armer davantage.»

C’est exactement ce que les pacifistes «onuzis» expliquaient au gouvernement de Sarajevo qui cherchait en vain à acquérir des armes pour stopper les exactions des gangs ethniques serbes sur son territoire. Deux cent cinquante mille morts plus tard, nous avons Isaac Isitan.

* «Quand on arrive au monde sans rien, on fait n’importe quoi; le problème, c’est la mauvaise redistribution des richesses. C’est ça qui énerve les jeunes.»

Je connais plein de jeunes énervés par l’injustice flagrante de ce monde. Tous, loin de là, même nés pauvres et «sans avenir», ne violent ni ne rackettent d’autres jeunes, aussi pauvres, plus faibles encore, à l’avenir encore plus incertain et, suite aux crimes subis, tout bonnement anéantis.

* «J’ai pu assister à des transactions d’armes et de drogues. C’était comme si je faisais partie du gang.»

Mais non, Isitan, tu en fais partie! Tu as été initié. As-tu aussi assisté à un viol collectif?

* «La police ne m’a pas rendu la tâche facile, surtout la section antigang. Les enquêteurs voulaient avoir mes secrets. Ils m’ont dit que j’avais la responsabilité, comme citoyen, de collaborer avec la police pour qu’elle neutralise le noyau dur des Bad Boys. J’ai catégoriquement refusé. Je ne suis pas un informateur.»

Effectivement, monsieur Isitan, vous n’êtes pas un informateur: plutôt un désinformateur, pour ne pas dire un vulgaire publicitaire de la racaille. Je vous vois très bien répondre avec ce même aplomb qui vous caractérise à un procureur de La Haye lorsque vous reviendrez d’un prochain reportage au Rwanda ou au Sierra-Leone avec de nombreux crimes live sur vos vidéocassettes.
Si certaines séquences s’avéraient par trop insupportables pour TV5, n’hésitez surtout pas à les confier à vos complices, ils ont de toute évidence les connections professionnelles qui vous permettront de les écouler, «presque» légalement, ce qui provoquera, j’en suis sûr, cette excitation morbide dont la plupart d’entre vous semblent se délecter, à l’instar de ce Cobra qui pouffe de rire en évoquant l’impuissance des «flics qui ne peuvent rien faire contre nous puisqu’ils n’ont aucune preuve»!

Et pour cause, car si les images que nous avons vues à la télévision ne peuvent fournir la moindre preuve d’un crime, cela ne peut signifier que deux choses: ou bien monsieur Isitan est un habile farceur, et tout ça n’est qu’un bidonnage journalistique de plus. Ou, version qui emporte plus facilement mon adhésion, monsieur Isitan a sciemment occulté dans son montage final des images et des mots qui mettraient ces minables chefs de gangs dans l’obligation de venir témoigner devant un tribunal – ou, si nous vivions dans quelque monde civilisé, de casser des cailloux le long d’une route surchauffée.