Grandes gueules

Subventionner les artistes? Pas trop!

Plus je lis la littérature des artistes en mal d’argent, plus je me dis qu’ils souhaitent un système de type soviétique. Quiconque peint, écrit, danse, chante est un «travailleur à part entière», comme ils disent, et a droit à son salaire au même titre que les infirmières, les ingénieurs, les avocats, les enseignants, etc.

Il faudrait donc reconnaître le statut de «travailleur culturel» aux quinze mille artistes québécois recensés par les associations, et trouver l’argent pour les faire vivre raisonnablement. Où trouver cet argent? Au gouvernement, qui doit doubler les fonds qu’il accorde aux artistes, et bientôt sans doute les tripler.

Si l’on proposait aux associations d’artistes de créer des unions officielles (l’Union des écrivains, l’Union des danseurs, etc.) et de verser aux membres de ces unions des salaires réguliers à même les fonds publics, elles diraient oui. C’est le système soviétique. Et je ne vois pas pourquoi les associations qui tombent à bras raccourcis sur la ministre de la Culture diraient non à un tel système: il répondrait à 100 % à leurs exigences.

Là-dessus, il faut dire non aux artistes. Non, vous n’êtes pas des «travailleurs culturels»; non, vous ne devez jamais avoir de statut officiel; non, ce n’est pas vrai que l’on peut vous comparer aux avocats, aux enseignants, aux architectes.

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Qui reconnaît à un avocat, à un enseignant, à un architecte son statut? C’est le diplôme, c’est la profession, c’est le pouvoir public. Vous faites des études dans un programme reconnu, vous sortez avec un papier officiel, vous entrez dans une corporation dont les statuts sont reconnus par les pouvoirs publics, et vous voilà dûment étampé membre de la profession: avocat, appellation d’origine contrôlée.

Jamais on ne me fera croire qu’on devient écrivain ou peintre de la même façon. Ça ne se compare pas. Or, ce que je lis dans les récriminations des associations d’artistes, c’est qu’on serait créateur et artiste de la même façon qu’on est avocat ou architecte. Avec un statut reconnu. Écrivain officiel, peintre enregistré.

D’où un artiste tire-t-il son «statut» d’artiste? De la reconnaissance qu’il reçoit de ses contemporains, le mot reconnaissance étant pris en son sens premier: reconnaître l’art de quelqu’un, l’accepter, le consommer. Un écrivain est reconnu par ses lecteurs, un peintre par ses admirateurs et acheteurs, etc. Tel est le statut authentique de l’artiste, il n’y en a pas d’autre. Et ce statut est fragile, il peut en tout temps être remis en question. Aucune compagnie ne l’assure.

Mais, l’écrivain qui n’a pas d’éditeur ni de lecteurs, le peintre dont les toiles ne pas exposées, ne sont-ils pas aussi des artistes que l’on devrait reconnaître et encourager?

Là, une fois n’est pas coutume, je vais emprunter une idée à cette fripouille de Sartre: on écrit, on peint, on chante pour son temps, pas pour la postérité. On ne crée pas d’oeuvres posthumes de son vivant. Ou alors, on fait un pari sur la postérité et cela concernera la postérité.

Le créateur s’adresse aux gens de son époque, ses oeuvres doivent être consommables ici et maintenant. Et c’est pourquoi la sanction du public, du moins d’un certain public, est l’élément essentiel de la reconnaissance de l’artiste. Rien, aucun statut officiel, aucune loi, aucun membership ne peut remplacer ce lien moral entre le créateur et le public.

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Que l’on accorde des bourses, que l’on soutienne un peu les créateurs, soit. Mais pas trop. L’État n’a pas à se substituer au public pour reconnaître les créateurs. Que l’on soutienne un peu le poète qui n’ose espérer les ventes de Danielle Steele, d’accord. Mais ce n’est pas la faute de l’État ou des contribuables si le poète n’a que deux cents lecteurs. Qu’on ne vienne pas nous dire qu’il «travaille» à moins que le salaire minimum. Cela n’a pas de sens.

Le mieux que l’État puisse faire, c’est encore d’investir dans «le béton». Parfaitement, dans le béton! Que l’État encourage à la consommation des oeuvres, qu’il s’assure de la viabilité de certaines galeries, des musées, d’un nombre suffisant d’éditeurs et de libraires, de salles de spectacles, soit. La culture n’est pas un marché comme les autres. Il faut que le public ait accès à autre chose que la littérature Harlequin ou la «musique» rap.

Il faut que les éditeurs puissent se payer le luxe de publier des poètes de deux cents lecteurs. Peut-être qu’un jour notre poète en aura deux mille. En attendant, il n’est pas du tout scandaleux qu’il soit, comme Yves Thériault, obligé de vendre du fromage pour boucler ses fins de mois. La création a ses risques. Il faut les accepter. Sinon, on se fait fonctionnaire.