Grandes gueules

La messe et le joint

Tout le monde s’esclaffe aujourd’hui en entendant dire qu’on a déjà condamné des gens pour avoir mangé de la viande le vendredi. Dans une ou deux générations, on fera rire de nous de la même façon.

Des documentaires montreront des hélicoptères de la police en train de chercher l’herbe maudite. Nos descendants n’en reviendront pas de notre bêtise. Comment a-t-on pu déployer tant de moyens pour faire la chasse au cannabis? Nos ancêtres étaient bizarres, diront-ils. Ils pouvaient fumer et boire à s’en rendre malades mais ils s’acharnaient sur une herbe qui faisait mille fois moins de ravages que l’alcool et le tabac.

Ils chercheront à comprendre. Ils s’apercevront que la politique d’interdiction des drogues était étrange. Qu’elle n’avait à peu près aucun fondement scientifique. Qu’elle relevait plutôt du rituel socio-religieux. La société a besoin de s’inventer des mythes, des fables, des rituels pour transmettre des valeurs, signaler des dangers, prévenir des dérives. L’eau bénite, la nourriture casher, le jeûne, le baptême, la cérémonie du mariage, les rites d’initiation, tout cela fonctionne tant qu’on peut y attacher un sens.

Mais vient un jour où les rites s’usent et perdent leur sens. Alors, pendant un certain temps, le rite continue de vivre dans sa forme même s’il ne signifie plus rien pour les populations à qui il s’adresse. Il est devenu une coquille vide. Ainsi en a-t-il été de la messe dans les années qui ont précédé la Révolution tranquille. Les églises étaient pleines de gens qui n’accordaient plus de sens à cette cérémonie. Puis le rite meurt pour faire place à autre chose. La pratique religieuse a radicalement changé et plus personne ne la subit comme une contrainte. On est passé de l’obligation à la liberté.

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La politique actuelle des drogues ressemble à l’ancienne messe. Elle survit dans sa forme après avoir perdu son sens. Dans une société basée sur l’autorité, celle des prêtres, des bonzes politiques, des parents, il pouvait être utie de faire comprendre le danger des drogues par une politique de prohibition. Les ligues d’abstinence alcoolique, avec leurs prêcheurs, répondaient à des vagues d’intoxication qui ruinaient les classes ouvrières.

Mais aujourd’hui, quel peut être le sens d’une politique de prohibition? Qui peut croire qu’avec un gros bâton on puisse encore encadrer les moeurs, convaincre, être crédible?

Le constat est simple: ça ne marche plus. La politique de l’interdiction et de la répression en matière de drogues est un monumental échec. Ça fuit de partout. C’est un rituel qui ne sert plus qu’à faire vivre ses célébrants: la police et la bureaucratie.

Le flot des drogues est devenu irrépressible. Chasser le cannabis à travers le blé d’Inde du haut des airs est une opération bouffonne. Pendant ce temps-là, la chimie invente chaque jour de nouvelles substances, comme les médicaments psychostimulants qui aussitôt sont détournés de leur usage médical. Le rêve d’un monde sans drogues est une dangereuse lubie.

Les pays européens commencent à le comprendre. Ils sont en train de changer leur politique. La semaine dernière, la France, de tradition plutôt répressive, se lançait dans une campagne d’information radicalement nouvelle. Le cannabis, le tabac, l’alcool, l’héroïne, les médicaments: toutes les substances psychoactives sont traitées comme telles, sans égard à leur interdiction ou à leur autorisation. Une drogue est une drogue. Il faut apprendre à la connaître pour ce qu’elle est, sans tabous mais aussi sans illusions.

Aucune substance de ce genre n’est totalement inoffensive. Le cannabis, ce n’est pas de la rhubarbe. Mais il ne mérite pas non plus les fureurs répressives dont il est l’objet.

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La survie insensée de la politique de répression a comme conséquence de freiner une information raisonnée sur la question des drogues. La nouvelle politique française annonce une ère nouvelle. Elle fait le constat que les drogues circulent de plus en plus, que la répressio n’est plus crédible et que la société doit trouver une nouvelle façon de «dealer» avec la drogue.

Cette nouvelle méthode, c’est l’information et la responsabilisation. Elle dit aux gens: la drogue va se trouver sur votre chemin, sous forme de cannabis, d’alcool, de tabac, de stimulants chimiques, etc.

Apprenez d’abord de quoi il s’agit. Ça peut être utile, ça peut être bon et ça peut devenir dangereux. À vous de mener votre vie en conséquence: ni la police ni la médecine ne le feront à votre place.