Grandes gueules

Aculture gratuite

"Les économistes sont des gens qui connaissent le prix de tout,
mais qui ne savent la valeur de rien.
"
– Oscar Wilde

Ce qui arrive à la Cinémathèque n’est pas surprenant, c’est le sort qui guette la plupart des entreprises d’ici vouées à la véritable culture. Sans financement adéquat, l’art est un gros bloc de sel qui s’érode sous les averses multiples de l’oubli. Mettre de l’argent pour la mémoire collective est souvent un geste peu populaire. C’est comme donner du blé à un cochon qui se fait manger par les vers de terre! Combien de ces payeurs de taxes savent qui étaient Gilles Groulx et Arthur Lamothe? On dirait que ce qui n’a pas une vitrine à la "télévicon" (comme disait Léo Ferré) n’a pas le droit de danser avec effervescence dans vos têtes! En tant que poète qui publie ici, je suis lacéré par cette envie de donner le meilleur de moi-même et d’être obligé de ramasser des canettes de 7 Up pour me payer du lait! Même si la source d’inspiration est farcie d’images et de mots agités, le portefeuille me regarde et me dit: ton art m’assèche! Je dois lui répéter que Grattonland n’embarque pas souvent dans l’audace et la nouveauté! Ici, les gens consomment l’art comme du savon à vaisselle; de temps en temps, pour se dégraisser de leurs vies approximatives! C’est lâche, mais c’est dans la tradition québécoise que d’être démunis quand vient le temps de danser dans les mêmes pas que la beauté!

La culture au Québec, c’est un requiem de gratuité. Gratis, les shows du Festival de Jazz, gratis, les projections de l’ONF, gratis, la poésie dans les bars! Gratis, l’artiste qui vidange le réel de sa banalité. Gratis, tel est le prix d’un tête-à-tête avec le sublime! Ça ne vous coûte tellement rien que ça finit par vous faire mal de sortir une poignée de trente sous pour saisir la vie, l’embrasser, la fouiller, la mériter… Je sais très bien de quoi je parle quand il est question de sous-financement en art. Chaque année, nous, les écrivains, recevons de l’argent de prêt public pour nos livres retrouvés dans les bibliothèques du Québec et du Canada. Depuis quelques années, la somme qui nous est versée ne cesse de diminuer, même si nous mettons de plus en plus de livres à votre disposition. Les montants versés par les gouvernements sont tellement ridicules qu’on devrait tous investir cet argent pour s’acheter de la gomme balloune! Pour l’écriture de mon dernier recueil publié chez le plus gros éditeur de poésie francophone au monde, Les Écrits des Forges, j’ai eu 6 cennes de l’heure! Vous avez bien lu, je ne travaille pas en Indonésie, mais dans ce chic pays où l’on tourne à droite au feu rouge! Bien que Rimbaud ait trouvé une saison en enfer, il n’a pas fondé de syndicat! L’art, ici, c’est aussi important que celui qui collectionne des roches ou des caps de roue! C’est un passe-temps métaphysique pour l’élite et les âmes errantes. Pour les autres, la grande découverte, c’est le sofa et le télé-horaire! Misère!

Quand vous mettez au pouvoir un parti politique comme les libéraux, vous espérez quoi, au fond? Que l’art sera enfin autre chose qu’un événement discret qu’on se souffle dans le tube de l’oreille? Pas du tout. Couper des rubans avec des smiles de bourgeois bêtes, c’est ça, pour moi, l’image de l’art contemporain! Comme disait Jean-Claude Lauzon: "Quand tu entres dans ces temples bureaucrates et que tu vois la secrétaire devant toi, tu te dis: "Elle, elle vit de l’art québécois, mais pas moi!"" C’est ça, un artiste, il invente et on l’organise! Je sais très bien que ce n’est pas une idée neuve, l’univers artistique a toujours été un terrain miné par un financement obscène. C’est juste triste d’observer que l’humain n’accorde pas plus d’importance à ce qui le distingue de la bête qui mange de la moulée beige!