Grandes gueules

Décalage médiatique

Je n’ai jamais vu un président aussi cul par-dessus tête que celui aperçu à la récente "conférence de presse" donnée par George W. Bush.

Il parle encore de trouver des "armes de destruction massive" – cette fois dans des fermes de Turquie! La Maison-Blanche croit réellement qu’il y a suffisamment d’idiots au pays pour gober ça.

Cette nouvelle incarnation de Lyndon Johnson dans la East Room – promettant pour l’essentiel d’envoyer encore plus de soldats dans le gouffre irakien -, je ne pouvais m’empêcher de lui dédier un petit texte.

Premièrement, ne pourrions-nous pas cesser d’utiliser ce langage orwellien et employer les noms exacts des choses? Ces gens – kidnappés – qui se promènent en Irak ne sont pas des "contractants". Ils ne sont pas là pour réparer un plafond ou pour verser du ciment dans un stationnement. Ce sont des MERCENAIRES et des CHASSEURS DE PRIMES. Ils sont là pour le fric, et le fric est une chose valable si vous vivez le temps qu’il faut pour pouvoir le dépenser.

Halliburton n’est pas une "compagnie" faisant du commerce en Irak. C’est un PARASITE DE GUERRE, extorquant des millions des poches de la classe moyenne américaine. Dans les guerres du passé, ces gens auraient été arrêtés – ou pire.

Les Irakiens qui se sont soulevés contre l’occupation ne sont pas des "insurgés" ou des "terroristes" ou "l’Ennemi". Ils sont la RÉVOLUTION, des francs-tireurs, et leur nombre croîtra – et ils gagneront. Compris, M. Bush? Vous avez fermé une petite saloperie de journal hebdomadaire, ô grand pourvoyeur de liberté et de démocratie! Puis tout a éclaté. Le journal n’avait que 10 000 lecteurs! Pourquoi ricanez-vous?

Un an après que nous eûmes nettoyé le visage de la statue de Saddam avec notre drapeau américain avant de le hisser, il est trop dangereux pour un journaliste seul d’aller à ce square de Bagdad et de tourner un reportage sur la célébration de ce merveilleux anniversaire. Bien sûr, il n’y a aucune célébration, et nos braves émissaires ne peuvent même pas quitter la sécurité du centre-ville de Bagdad. En fait, ils ne peuvent même pas VOIR ce qui se passe à travers l’Irak (la plupart des images que nous voyons à la télévision sont prises par des médias arabes et parfois européens). Lorsqu’on regarde un reportage "d’Irak", on n’a droit qu’à une forme de communiqué de presse de l’occupation américaine, alors présenté comme de l’"information".

Deux caméramans/reporters travaillent actuellement pour moi sur mon film en Irak (à l’insu de l’Armée). Ils parlent avec des soldats et échangent avec eux leurs sentiments réels sur ce qui se passe vraiment. Ils m’envoient la pellicule chaque semaine par Fed Ex. Tout à fait, Fed Ex. Qui a dit que nous n’avions pas apporté la liberté en Irak! L’histoire la plus drôle que mes potes m’aient racontée concerne leurs vols vers Bagdad. Ils n’ont aucun passeport à présenter et n’ont pas à passer par le bureau d’immigration. Pourquoi? Parce qu’ils ne vont pas vers un pays étranger – ils vont des États-Unis VERS les États-Unis, vers un endroit qui nous appartient, un nouveau territoire nommé Irak.

Parmi les opposants à Bush, beaucoup commencent à proposer que nous refilions cette guerre aux Nations Unies. Pourquoi d’autres pays du monde, des pays qui ont tenté de nous faire réaliser la bêtise de nos extravagances, auraient maintenant à nettoyer nos dégâts? Je m’oppose à ce que l’ONU ou quelque pays que ce soit risque la vie de ses citoyens pour nous épargner la débâcle. Je suis désolé, mais la majorité des Américains a appuyé cette guerre jusqu’à ce qu’elle débute et, malheureusement, la majorité veut maintenant sacrifier ses enfants jusqu’à ce que suffisamment de sang ait coulé pour que peut-être – seulement peut-être – Dieu et le peuple irakien nous pardonnent.

D’ici là, appréciez donc la "pacification" de Falloujah, le siège de Sadr City, et la prochaine Offensive du Têt – oups, je veux dire "l’attaque terroriste par un petit groupe de loyalistes baathistes" (Ha ha ha! J’aime écrire ces mots, loyalistes baathistes, ça me fait tellement sonner comme Peter Jennings!) – suivie par une "conférence de presse" où l’on se fera dire que nous devons "poursuivre l’effort" parce que nous sommes en train de "gagner les cœurs et les esprits de la population".

Ne désespérez pas. Les Américains ne sont pas si stupides. Nous pouvons être entraînés dans une guerre par la peur, mais nous finissons toujours par nous réveiller – et s’il est vrai que cette situation n’est pas identique à celle vécue lors du Viêt Nam, c’est que cette fois, il ne faudra pas quatre longues années à la population avant de s’apercevoir qu’on lui ment…

Michael Moore est le réalisateur de plusieurs films, incluant Bowling For Columbine. Son plus récent livre traduit est Tous aux abris! (Éditions du Boréal).

Alternet / David Wallis FW Syndication

(Traduit de l’américain par Thierry Bissonnette)