Hors champ

Le paradis en carton ondulé

Je l’ai évoqué la semaine dernière, je vais bientôt déménager. Je goûte donc mes derniers jours dans mon bureau.

Même avec le combo laveuse-sécheuse qui gargouillait dans mon dos, les tas de matériel de camping, le vélo accroché au plafond et l’habituel panier de linge à plier, c’était un bureau. Là où nous allons, je n’en aurai pas.

Je tâche de minimiser l’affaire. Le romancier, trimeur de l’intangible, ne saurait dépendre d’un lieu. Il doit savoir travailler sur la table de la cuisine, sur ses genoux, couché sur le ventre.

De toute manière, le temps manque pour me vautrer dans mes états d’âme. Il y a des boîtes à faire – et pour quiconque doit déménager cinq ou six bibliothèques, les boîtes sont le nerf de la guerre.

Les boîtes à livres adéquates sont difficiles à trouver. Elles doivent avoir le bon format et être robustes. Les boîtes de qualité se transmettent entre bibliophiles, au point d’accuser un certain avachissement.

Mon beau-frère était tout content de pouvoir me prêter ses traditionnelles caisses DLM, ramassées à l’époque où il travaillait comme libraire. «Le format idéal pour les bandes dessinées!» m’assurait-il. Au moment de les déplier, j’ai trouvé les pauvrettes fatiguées. Il ne datait pas d’hier, leur premier déménagement. Kurt Cobain devait être encore vivant.

Il allait me falloir d’autres boîtes.

Une amie nous alors donné un tuyau. Si nous voulions des boîtes à livres, pourquoi ne pas aller les cueillir à l’endroit même où se trouvent les livres ? «Bon sang, mais c’est bien sûr!» me suis-je écrié.

Quinze minutes plus tard, je garais notre bagnole près du quai arrière d’une grosse librairie. (J’en tairai le nom, tout comme on reste discret sur l’endroit où l’on cueille ses morilles, son ail des bois.) Partout s’empilaient de magnifiques ballots de boîtes, un véritable paradis en carton ondulé!

J’ai bourré le coffre et le porte-bagages, dans l’allégresse. C’est néanmoins en déchargeant tout ça à la maison que (pour citer Sénèque l’Ancien) le fun a pogné.

Je me suis toujours intéressé aux coulisses du livre. Je connais assez bien les éditeurs, mais les jupons des libraires et des distributeurs me sont moins familiers. Or, toutes ces boîtes dépliées, scotchées et empilées le long des murs formaient un véritable polaroïd de l’industrie du livre. Bouquinville, échelle 1 : 50 000.

Toutes les entreprises sont là: imprimeurs, diffuseurs, distributeurs et transporteurs, et quelques éditeurs aussi. Comme le contenu est souvent inscrit sur la boîte, on peut voir ce qui se vend, ce que les gens vont s’offrir pour Noël.

Ajoutons à cela quelques surprises. Je l’ignorais, mais la série Twilight, en plus d’avoir été adaptée pour l’écran, a aussi été adaptée pour l’estomac. C’est du moins ce que j’ai découvert sur l’une des boîtes, qui contenait des délices chocolatés, truffes, caramels et beurre de pinotte à l’effigie des héros de Stephenie Meyer.

Étrangement, je comprends très bien l’équation.

Vampire = sexe = chocolat. Ça fonctionne. (Alors que pour les zombies, en revanche, les possibilités de produits dérivés alimentaires sont plutôt restreintes. Je vous épargne les exemples qui me viennent à l’esprit.)

Je suis fasciné par ces chocolats. Jusqu’où un produit dérivé peut-il, justement, dériver? La réponse est simple: aussi loin qu’il y aura un client.

Est-ce bête? Pas forcément. Tout est dans la manière. Après tout, Mathieu Arsenault vend des t-shirts Louis Ferdinand Céline Dion que certains portaient avec fierté lors du dernier Salon du livre. (Pour ma part, j’attends encore la version Laure Conan le Barbare.)

Le produit dérive? Si ça contente le cerveau plutôt que l’estomac, je veux bien.

Sur ce, assez bavassé. Je replonge dans mes boîtes.