Fils de pub
Mots croisés

Fils de pub

Pour bien goûter l'exercice, il faut avoir la faculté de mettre en veille une partie de son cerveau. Faculté que je détiens moins que certains mais plus que d'autres. Suffisamment en tout cas pour apprécier l'invention qu'il y a dans le merveilleux univers de la publicité télé.

Me voilà donc assis en compagnie de ma bien-aimée collègue Manon Dumais, mercredi dernier, pour la projection de presse des 57es Lions de Cannes. Pour ceux qui ne connaissent pas, il s'agit des meilleures pubs du monde, la crème de la crème, celles qui ont été primées à la plus récente édition du deuxième grand festival cannois, en juin dernier (avis aux publivores, on peut voir ces perles du 19 novembre au 3 décembre, au Cinéma du Parc).

Après avoir, pendant près de 120 minutes, trouvé magnifiquement débile une pub de Canal+ digne d'un Indiana Jones, remis en question ma fidélité à mon désodorisant préféré devant la désopilante réclame d'Old Spice et avoir eu presque envie de m'en dévisser un devant celle de Coke Zéro, je sors de la salle et hop!, fallait s'y attendre, l'autre moitié de mon cerveau se réveille derechef, fertile en points d'interrogation.

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On nous a souvent répété que les milliers de messages publicitaires dont nous sommes quotidiennement mitraillés (3000, selon certaines études) modulent nos actes et notre pensée, faisant de nous de parfaits pantins capitalistes. La réalité me paraît plus complexe. Les pubs de l'année ne sont pas que des obus conçus pour se ficher tout au fond de notre conscience et de nos désirs: elles en sont aussi le reflet.

À les visionner bout à bout, c'est un peu notre portrait collectif qui se dessine. En même temps que nos soifs.

Qu'est-ce qui ressort de la présentation 2010 des Lions de Cannes? Un appel à la lenteur – plusieurs ralentis cette année, comme pour calmer nos millions de petits cours qui battent à tout rompre -; une franche tendance à la dérision, aux quatre coins du monde, cette dérision qui a toujours été l'ultime baume de ceux pour qui plus rien ne rime à rien; un parti pris pour la petite histoire et le human concern aussi, davantage que pour la technologie (peu de débauche d'effets spéciaux, étonnamment).

Plus concrètement, une foule de spots publicitaires nous disent l'importance de mettre de l'ordre dans nos finances, d'être assurés mur à mur en prévision des mille et une tuiles que la vie nous réserve; certains sont de très directes mises en garde contre les arnaques bancaires…

Si vous n'y reconnaissez pas notre monde – et ce qui lui fait défaut, bien sûr, devenant par le fait même objet de convoitise -, on ne vit pas sur la même planète vous et moi.

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Cette semaine, à travers toutes ces belles pubs qui nous permettent de vous offrir gratuitement votre hebdo préféré, on vous parle entre autres de Marie Chouinard, dont la compagnie, depuis 20 ans maintenant, nous fait voir autre chose que les images dominantes; de l'artiste visuelle Marie-Claude Bouthillier, auteure d'un petit théâtre pictural très réussi; et puis nous bouclons notre série d'entrevues en lien avec le Salon du livre de Montréal. Au menu, Jimmy Beaulieu, Franz Benjamin et Michel Folco, qui nous présente son décapant portrait du jeune Adolf Hitler.

En voilà un qui, à sa démente manière, avait parfaitement saisi les rouages du message publicitaire…