Prix intercollégial de poésie 2011: les lauréats
Mots croisés

Prix intercollégial de poésie 2011: les lauréats

Cette année encore, je profite de cette tribune pour tirer mon chapeau aux lauréats du Prix intercollégial de poésie. Remis par la Fondation lavalloise des lettres et le Collège Ahuntsic, ce prix récompense les meilleurs poèmes recueillis auprès de la cinquantaine de collèges membres de la Fédération des cégeps du Québec.

Le jury 2011, composé des poètes Aimée Dandois-Paradis et Louise Deschênes, de même que de l’écrivaine Claire Varin, a décerné il y a quelques jours trois prix ainsi qu’une mention. Devant la qualité de ces textes, je les diffuse tous les quatre.

Bravo à tous!

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KARINE POIRIER
Collège Jean-de-Brébeuf
1er prix

QU'IMPORTE
J’ai dans les yeux des fleuves congelés
des coulisses
de sueur
entre les clavicules
comme c’est beau ici
comme la nuit est nette
on se tue de bonne heure
entre le vide et les instants brûlés
sur le trottoir j’ai échappé ma vie
j’ai voulu
la ramasser
je me suis fait petit
sous les cuisses des passantes
et j’ai fantasmé
voici la nuit broyée dans mes os
j’ai deux ciels dans la gorge
aimez-moi comme il faut
comme c’est beau
vu d’ici
le noir contre ta face
le bleu contre ton corps
le rouge contre ton sexe
comme c’est beau
ma chérie
ton grand morceau de peine
quand on n’y pense plus
comme c’est beau quand on s’oublie
tu pleures dans tes yeux
tes yeux coulent dans l’eau
l’eau en même temps que mes remords
taisez-vous j’ai quelque chose à dire
comme un goût du pire
taisez-vous

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JONAS FORTIER-RAYMOND
Cégep du Vieux-Montréal
2e prix

ORIFLAMME S'ATTÉNUANT
Tard dans la nuit
je guette les routes
au-dehors        des brumes radieuses
s’amassent en grillages de peu

tard dans la nuit        splendidement
j’en fais  serment de langueur

les jours les lumières me sont trop familiers moi qui séjourne encore dans le doré d’un vieux couteau ordinaire je suis là les yeux rauques verrouillés je sais déjà le poids qu’auront mes cendres

tard dans la nuit        autour et tiraillé
je rêve de ne plus mener la        Vie        de ne plus mener que moi
sans autre abri  qu’un parcours d’ombres

l’heure micacée où je suis bien  où je ne suis rien
un fleuve expiré qui se déjette
tout droit

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OLIVIER GAGNON
Cégep de Baie-Comeau
(3e prix)

LA FORTERESSE NORD
Dans les ports la forteresse nord
défriche les costumes coutumes
du délectable habit de congère
aux jetées des guais d’orfraies
les clochers nantis de crans
engourdissent le vent enflé
où le ciel
trop près des torches nues
déverse les draveurs souls 
sur la vaste charpente de grêle
où les cambuses se gèlent des nuits
l’automne dénaturé des fjords
armature sans fond de nos ancêtres
épargnant les brumes qui nous tiennent
dans les bras boréals
des barrages rageant les hommes
où l’on a bâti les rivières
sur les vestiges de vivres
il neige sur les aquilons du fleuve
dégustés dans l’infinie de nos membres
où chassé il règne dans l’averse
de la côte blanche brisée de vie
au dôme hameçon les rapaces rapiècent
les contrées marquées des desseins de gris
les portes des forts enduites d’archipels
entaillent les oiseaux des nids de cris
traversant les péninsules solitaires
qu’on ne sait plus si tombe la neige
écartelée dans les chemins d’horizon
sur les épaves montagnes
des ardoises névés effaçant la suie
tressaillant les marquises septentrionales

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GEOFFROY DELOREY
Cégep du Vieux-Montréal
(mention)

L'AVENIR DÉGAGÉ
Plus jamais cordés comme des bûches fendues drettes laissées à sécher pour l’hiver nous restons verts et avons le mors au travers la gorge les mâchoires usées jusqu’à la corde nous nous sommes déharnachés
L’odeur musclée d’une pince en portage contre l’omoplate traîne derrière nous à travers les coudes des sentiers d’une ville battue l’huile forte demeure dans nos pas comme sur le cèdre empreinte sur carène l’écorce le torse bombé les corps se tordent se tendent torsion des obliques en débordée et les appels des battements au creux du thorax enflent par-dessus les plats-bords d’une carcasse de char cravatée dans l’espoir de toi en toi âme de femme forte et velue nous ne dessalerons pas l’éclat de l’eau libère nos corps quadrillés

Le sapinage sec au sol mouillé la rosée naissante le gland d’avant l’aurore perce le ciment craque et croît comme malgré lui le jour déchire le brouillard les ombres alors que les esprits murmurent enchaînés aux bouleaux à l’orée du bois la brume se lève je me lève déchaîné et je brame orienté vers toi ongulée à travers les branchages l’oreille tendue la prunelle et la tache blanche au détour d’une ruelle résineuse

Nous ne portons ni plume ni perruque ni maquillage mais nous gardons les rituels les offrandes les gestes un cri émerge et irrigue les cartilages du larynx nous tendons comme peau de tambour ses quelques poils qui résistent et vibrent encore contre mais chantent pour nous dansons enthousiastes nus avec nos fils nos filles et personne n’arrivera à nous prendre nos scalps notre cuir rêche leur odeur de fumée au son des craquements des os et des carapaces sur braises et cendres opaques les chasseresses coureurs cueilleurs chamans et aînés leurs corps rompus rêvent sur fond ciel de geai dégrisé

Hochelaga respire à nouveau son air roux plein du vol des tourtes et son sol de trâlées de gélinottes nous callons l’orignal les gestes secs bruyants ocres mêlés à la sueur nous chassons le cerf à l’arc et ma bouche âcre a soif de calcaire et de carne tandis que nous courons contre le cerf dans les corridors du palais des congrès tu débusques le quartanier le groin dans la glaise son humeur son urine marquées et je suspends les bêtes sur le feu et dépèce leur carcasse dans les ruines de la tour de la bourse où poussent les ormes où poussent les espoirs rugueux de notre horde et des germes d’un souffle roux nous sommes des sauvages oui des barbares et nous pagayons sur l’écorce de la rivière des Prairies notre rabaska dans les rapides contre les matures droites des flottes impériales leurs amiraux leur arsenal lourd et leurs idéologies bien lisses nous sommes courbes et n’avons pas besoin d’une hygiène étrangère
Ce n’est pas une question de territoire
L’automne racle nos corps parmi les branches et sa lumière