Mots croisés

J’ai quitté mon île

Montréal, je te quitte! C’est ce que plusieurs ont dit en 2010-2011, à en croire le plus récent bilan de l’Institut de la statistique du Québec. Selon les données recueillies, les échanges migratoires de la métropole avec les autres régions du Québec se soldent par une perte, pour Montréal, de plus de 22 000 personnes.

22 207, pour être précis.

La ville a perdu 22 207 habitants de plus qu’elle n’en a attiré. C’est le contraire de l’exode rural, qui a façonné le Québec pendant une bonne partie du siècle dernier, les ruraux tournant le dos aux champs et aux poulaillers pour venir tenter leur chance là où ça bouge. «Demain matin, Montréal m’attend…»

La plupart de ces ex-Montréalais ne sont pas partis bien loin, cela dit. Laval, Montérégie… Ils sont partis tout de même, me laissant déambuler, dans la tristounette rue Saint-Denis de ce début février, avec en tête une grande question: ces gens-là recherchent-ils quelque chose ou fuient-ils quelque chose?

La liste de ce qu’on peut avoir envie de fuir, à Montréal, est assez longue. Quand on ne s’est pas pris un bout de viaduc dans la gueule et qu’on a survécu à l’infarctus causé par son dernier compte de taxes, quand on n’est pas mort d’ennui à écouter le maire Tremblay exposer sa vision de la cité du 21e siècle et qu’on a repris son souffle après être resté planté comme une asperge dans un wagon de métro immobile et bondé, au son de la très peu rassurante ritournelle «d’autres messages suivront», il reste encore à affronter, pour l’homo montrealus, une série d’épreuves dont les cratères de nos pavés ne sont pas la moindre.

Autrefois, on quittait la campagne pour aller vers la civilisation et ses merveilles; aujourd’hui, le Far West, il est en ville.

Mais restons sérieux. Selon un sondage réalisé en 2009 par l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et la firme SOM, 700 000 des Québécois domiciliés en zone urbaine aspirent à la vie rurale. Près de 9% d’entre eux envisageaient même de passer à l’action dans les cinq années à venir. Ce qui les attire? La tranquillité et la sécurité, physique comme alimentaire. Sans compter que dans plusieurs domaines, on peut maintenant travailler de n’importe où. Comptables, correcteurs, informaticiens… Avec une bonne connexion, tout ce petit monde peut bosser si ça lui chante depuis une cabane dans les arbres aux confins de l’Abitibi.

La compétition est féroce, mes amis. Le parc La Fontaine, c’est bien, mais c’est bien peu à côté des vastes forêts qui s’étendent partout en province.

Stoppons la saignée, citoyens. Ne laissons pas notre ville se vider, ne laissons pas ces milliers d’infidèles creuser nos nids-de-poule et user nos bretelles d’autoroutes pour ensuite aller faire de l’ornithologie à Saint-Machin.

Je propose donc, à l’instar des élus du PQ qui prônent l’adoption d’une loi contre les transfuges politiques, un règlement municipal anti-transfuges. Montréalais un jour, Montréalais toujours!

La mesure est dure, je sais, mais il faut ce qu’il faut. Et puis on se consolera comme on peut, insulaires en marge de l’époque, au fil de quelques plaisirs anachroniques: aller patiner au lac aux Castors, flâner dans le Vieux-Port, faire ses courses au Marché Jean-Talon, aller travailler en vélo, aller au théâtre à pied, au printemps, en passant par la rue Saint-Denis…