Mots croisés

Gagner son miel

Reste-t-il en terre québécoise, malgré l’éloquente illustration du contraire que nous ont fourni les derniers mois, quelque grincheux toujours convaincu de la paresse intellectuelle et politique de notre jeunesse? Reste-t-il, hormis deux ou trois chroniqueurs toujours persuadés que boire un pot sur une terrasse est un criant symptôme d’apathie et de perdition, des pessimistes inquiets de la relève?

À ceux-là, on pourra adresser un exemplaire d’un petit livre qui vient de paraître aux Éditions Écosociété, Le souffle de la jeunesse, recueil de textes retenus dans le cadre du concours d’essais Bernard-Mergler, organisé par la Fondation Charles-Gagnon et les Éditions Écosociété.

(Pour mémoire, Charles Gagnon est ce professeur, essayiste et militant très actif des années 60, 70 et 80, accusé de sédition à la suite de la Crise d’octobre et incarcéré en compagnie de Michel Chartrand, Jacques Larue-Langlois, Pierre Vallières et Me Robert Lemieux. Peu avant de mourir en 2005, il avait émis le souhait «que la jeunesse du Québec, toutes origines confondues, prenne de nouveau l’initiative de la lutte pour le progrès, pour la démocratie et la justice dans un esprit de solidarité avec les autres peuples du monde».)

Le souffle de la jeunesse devrait contribuer à la paix de son âme. Il rassemble des textes riches, très riches même. On est ici devant la frange la plus «universitaire», disons, d’une génération critique des rouages de notre société. Une batterie de casseroles de luxe, si vous me permettez une image un peu bruyante.

Dynamique de l’engagement des jeunes, lieux de sociabilité des classes populaires, responsabilité sociale des entreprises, repères moraux et éthiques à réinventer, regard sur la mort «à l’aune de l’anthropologie économique», voilà des essais qui interrogent, contestent, mais aussitôt proposent. S’ils pèchent parfois par excès, trahissent l’habituel souci des jeunes penseurs de paraître à tout prix intelligents, ils peuvent indéniablement contribuer à ce que la vague d’indignation qui vient de soulever le Québec mène à des rives non seulement apaisées, mais où le soleil brille plus fort pour chacun d’entre nous.

Pascale Cornut St-Pierre, Bruno-Pierre Guillette, Josée Madéia Charlebois, Jérémie McEwen et Martin Robert: retenez ces noms, ils sont maintenant indissociables de la vie intellectuelle québécoise. Gabriel Nadeau-Dubois, auteur d’une postface inspirée, résume bien l’ensemble en écrivant: «J’ai le sentiment qu’il y a, chez ma génération, un rejet de prendre part à la course à laquelle on voudrait bien nous faire participer. Ici aussi, le discours de légitimation des frais de scolarité est instructif: s’il faut augmenter les frais, c’est pour s’assurer d’être à la hauteur de nos voisins, c’est qu’il faut être plus compétitif, plus performant, plus rentable. […] On nous somme d’entrer dans la course? Nous en questionnons la destination.»

Dans Prologue de la mort belle, où il cherche à dissiper le mirage capitaliste, Martin Robert parle, lui, d’un point de non-retour, sur tous les plans. «Nous vivons l’ère du naufrage. Nous ne pouvons nous retourner vers le passé désormais mort, ni nous élever vers le ciel désormais vide, car le navire que nous habitons a définitivement laissé l’assise de la terre ferme pour l’excitation du grand large. Nous dérivons au gré des courants, naviguant vers le grand nulle part où nous espérons nous rendre le plus rapidement possible.»

Un propos qui intéresserait un Michel Onfray, tiens.

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Il a déplacé beaucoup d’air, et de monde, lors de son passage à Montréal ces derniers jours. Vedette médiatique mais surtout philosophe et pédagogue hors pair, le Michel Onfray en question contribue, ça personne ne peut le contester, à ce que monsieur et madame Tout-le-Monde s’ouvre à cette bête hirsute qu’est la philo.

Venu à Montréal présenter La sagesse des abeilles. Première leçon de Démocrite, une pièce de théâtre qu’il a écrite à l’invitation de son ami Jean Lambert-wild, qui en signe la mise en scène, Onfray a multiplié les entrevues et les apparitions publiques, répétant son attachement à une philosophie solaire, hédoniste, en accord avec les sens et amoureuse du genre humain.

Ayant moi-même eu la chance d’animer une longue causerie avec lui, dans une salle Bourgie (MBAM) remplie de 500 fidèles ou curieux, j’ai compris l’engouement pour le type: son approche de la philo aide à vivre, fait reculer les inquiétudes. À le lire et encore plus à le côtoyer, on comprend son intérêt pour Camus, dont témoigne un très beau livre paru plus tôt cette année, L’ordre libertaire: La vie philosophique d’Albert Camus. Comme lui, Onfray veut d’une philosophie de l’action, qui génère une éthique applicable au quotidien.

La sagesse des abeilles n’est pas un spectacle sans faille. Son dispositif, dont le cœur est un mannequin translucide peu à peu investi d’abeilles véritables, a un côté new age, l’automate évoquant parfois le Darth Maul de Star Wars plus que l’humanité en quête. Son texte, sensible, très poétique, a par moments, c’est paradoxal, des relents de prêche. Mais c’est comme pour l’ensemble de l’œuvre: si on peut reprocher des choses à Onfray dans le détail, difficile de ne pas adhérer à l’entreprise générale, lumineuse, et à l’homme, d’une intelligence et d’une culture tout à fait inhabituelles, qui auraient peu d’intérêt s’il ne les tournait tout entières vers la recherche d’un mieux-être pour tous.

Une rencontre inoubliable. Que je vous souhaite.

Le souffle de la jeunesse, collectif. Éd. Écosociété, 2012, 232 p. 3.5/5

La sagesse des abeilles, de Michel Onfray. Éd. Galilée, 2012, 104 p. 3.5/5

L’ordre libertaire, de Michel Onfray. Éd. Flammarion, 2012, 595 p. 4/5