Mots croisés

Un Montréal qui s’efface

C’était l’époque où les compagnies de cigarettes faisaient la promo de leurs produits en grandes lettres peintes sur la brique des immeubles. Le tabac était alors un «old chum», comme l’indique cette fameuse publicité prisonnière entre deux murs, pendant des décennies, et révélée en 2008 à la suite de la démolition d’un immeuble ravagé par le feu, rue Masson.

Étonnamment bien conservée, la réclame aujourd’hui masquée par une construction neuve fait évidemment partie des perles figurant dans le livre Sur les murs d’un Montréal qui s’efface, qui répertorie les plus beaux exemples de ce patrimoine urbain pittoresque, dans la plupart des cas toujours visibles, bien que – avec le temps, va, tout s’en va – de moins en moins.

Entre les photos d’archives et celles, récentes, de Michel Niquette, les textes de Réjane Bougé remontent le temps jusqu’à l’épicerie familiale de son enfance, angle Mont-Royal et Messier. La vie de l’auteure se confond avec l’histoire de Montréal, tandis qu’en arrière-plan défilent ces pubs de laiteries, de boissons gazeuses ou de compagnies d’assurances autrefois omniprésentes.

Les temps ont changé, le tabac n’a plus rien d’un vieux chum et la pub a depuis longtemps cédé au règne du jetable et de l’éphémère. «D’aucuns pourraient d’ailleurs trouver prétentieux, écrit Réjane Bougé, d’avoir ainsi voulu inscrire de manière quasi permanente des publicités dans une ville. Je crois surtout que ces pubs témoignent d’une autre vision du temps, d’une autre façon d’habiter Montréal. Pourrait-on dire qu’on donnait alors, selon l’expression consacrée, davantage de temps au temps?»

Les mots que j’aime

C’est un livre minuscule. 4¾ po sur 3¼ po, j’ai mesuré. Un supplément promotionnel offert par certains libraires – vous demanderez au vôtre, il en a peut-être encore quelques-uns sous la caisse. Les mots que j’aime, ça s’appelle, de Philippe Delerm (éditions Points).

Celui qui avait fait grand cas de sa première gorgée de bière, il y a quelques années, nous sert ici une cinquantaine de ses mots préférés, en nous disant le goût qu’ils laissent sur la langue, la manière dont ils habitent l’imaginaire et l’espace sonore. Ça donne par exemple, pour le mot grimoire: «Un joli mot à deux entrées, moitié gribouillis, moitié mémoire, qui coule dans la bouche avant de fuir en entonnoir, mais la part légère a pris le dessus. On le trouve dans les contes si on va l’y chercher, mais de façon plus racoleuse il s’est lié à un imaginaire médiéval un peu dérisoire, des dessins animés, des jeux de rôles, des romans de fantasy stéréotypés aux couvertures kitsch

Bel exercice, qui montre combien chaque mot est un fruit, ferme, tendre, amer ou sucré, qui ne fait pas que traduire nos pensées mais contribue aussi à leur donner une texture. Ainsi en va-t-il de cauchemar: «Il est vraiment à la hauteur, à la cadence sourde du malaise engendré. Son chuintement est le passage initiatique vers une chute irrémédiable au profond d’une nuit sans issue […]. Mais le pire est peut-être la dernière syllabe, cette stagnation mate où rien ne passe, aucun espoir.»

Ça donne envie de s’y essayer, non? Tentons le coup avec octobre, tiens. Hum hum. «Il provoque une sorte de collision dans la bouche, évoque le claquement d’une porte sous les vents d’automne. Puis il fait courir sur les lèvres un frisson déjà plus profond que septembre, son antichambre. On n’y échappe pas: octobre a quelque chose en lui qui se referme, le bruit d’une serrure de fer qui restera verrouillée tout l’hiver.»

À vous de jouer…

Saison de la lecture

Il faudrait voir si les ventes des libraires confirment l’affaire, mais l’automne est la saison de la lecture par excellence. À défaut d’ouvrir les fenêtres sur l’extérieur, on ouvre des fenêtres de papier, sur des mondes que n’atteignent pas les chutes du mercure.

Ceci expliquant sans doute un peu cela, Montréal a désormais sa Saison de la lecture officielle, qui débutait il y a peu et chapeaute une dizaine de remises de prix littéraires, quelque 3500 rencontres d’auteurs, mille «heures du conte», 1200 ateliers de lecture et d’écriture, et ainsi de suite.

La Saison de la lecture de Montréal débutait avec le Festival international de la littérature pour se conclure avec le Salon du livre de Montréal, à la mi-novembre. Pour tout savoir: saisondelalecture.com.