Ondes de choc

La déforestation de la culture

Le film d’horreur The Blair Witch Project a remporté plus de cent quinze millions de dollars. La méga chaîne de restos Planet Hollywood est sur le bord de la faillite.

Y a-t-il un lien entre ces deux nouvelles? Bien sûr que non. Mais la coïncidence est trop belle pour passer à côté. Avec un peu de mauvaise foi, on peut y voir une métaphore sur le vent de changement qui est en train de souffler sur Hollywood.

Car de quel film parle-t-on, ces temps-ci? Quel long métrage américain fait le plus courir les jeunes, ceux qui achètent du pop-corn et qui fréquentent les multiplex à gogo? Pas The Haunting. Pas Armageddon 3. Pas Wild Wild West, qui est au cinéma ce que Planet Hollywood est à la restauration: une grosse bébelle bruyante, indigeste et vide. Mais The Blair Witch Project, un petit film fauché fait par trois outsiders pour quarante mille dollars.

Le succès de film underground est en train de bousculer l’empire hollywoodien. Car il prouve, chiffres à l’appui, qu’on n’a pas besoin de dépenser quarante-cinq millions de dollars sur les effets spéciaux, quinze millions sur les acteurs et dix millions sur la publicité pour se retrouver en tête du box-office. On a juste besoin d’une idée originale, et d’un certain sens de la débrouillardise.

The Blair Witch Project envoie un message intéressant aux gros magnats de l’industrie cinématographique. Malheureusement, ce message risque d’être mal compris. Au lieu de profiter du succès du film pour sortir des sentiers battus et surprendre de nouveau le public, on nous donnera The Blair Witch Project 2, 3 et 4 – comme on nous a arrosés de mauvais polars branchés après le succès de Reservoir Dogs et de Pulp Fiction.

Déjà, on commence à presser le citron.

Sur Internet, vous achetez une foule de produits Blair Witch: des affiches autographiées, des t-shirts, des pyjamas, des porte-clés, des pin’s, des économiseurs d’écran, des bédés, des livres, des calendriers, des pendentifs, des aimants à frigo, des casquettes de base-ball, des bâtons d’encens, des vidéocassettes, des cédéroms, des disques compacts, des tapis à souris d’ordinateur, des copies du dossier promotionnel… et une petite croix faite avec des brindilles provenant de la forêt où l’on a tourné le film!

Tout juste si on ne vend pas des figurines aux comptoirs des McDo. Ce film est en train de devenir le Star Wars du cinéma underground. C’est George Lucas qui va être jaloux…

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La culture mainstream est un monstre affamé qui veut sans cesse être nourri. Il y a des centaines de stations de télé, des centaines de magazines, des centaines de stations de radio et des milliers de sites Internet qui ont besoin d’images et de sons pour attirer le public (et ainsi vendre de la pub).

Cette grosse machine a besoin d’idées pour vivre. Pas des idées recyclées: de la viande fraîche, saignante.Alors elle vampirise la culture underground.

Tous les artistes underground intéressants finissent par être récupérés par le mainstream. C’est ce qu’on pourrait appeler le cycle de la vie. Mais ce cycle va en s’accélérant.

C’est comme L’Horreur boréale, le documentaire-choc de Richard Desjardins et de Robert Monderie. Mais au lieu de forêt, c’est de culture qu’il s’agit. D’un côté, vous avez une terre fertile, sur laquelle poussent toutes sortes d’idées. De l’autre, vous avez de gros industriels qui cherchent à faire des profits.

Quand ils ont besoin de sous, les industriels sautent sur leur gros tracteur et vont exploiter la terre. Jusque-là, pas de problème: après tout, il faut que la nature se renouvelle. S’il y avait trop d’arbres, la forêt étoufferait. Mais le hic, c’est que les chercheurs de nouveaux talents sont en train de raser la culture underground à blanc. Ils ne laissent plus le temps aux jeunes créateurs de pousser et d’atteindre la maturité. Ils les fauchent alors qu’ils sont encore tout petits.

L’amorce d’une bonne idée vient de germer dans la tête d’un futur artiste? Vite, amenez la tronçonneuse! On va te le déraciner, te le découper, te le presser, te l’empaqueter et te le «marketter». Même pas le temps de crier «Grunge!», et le gars va déjà discuter de ses futurs projets avec Jay Leno et David Letterman.

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Ça, c’est aux États-Unis.

Car ici, c’est l’autre extrême. On te laisse pourrir dans la forêt jusqu’à ce que tu tombes.

L’enfant-terrible du cinéma québécois s’appelle André Forcier, et il a cinquante-deux ans.

Et la télé communautaire, qui était censée être une pouponnière de nouveaux talents, est devenue un mouroir où l’on parque nos «has-been».