Ondes de choc

Cachez ces chiffres que je ne saurais voir

Comme on s’y attendait, le sondage que nous avons publié la semaine dernière a suscité de nombreuses réactions.

Plusieurs personnes nous ont écrit pour nous dire qu’elles ne se reconnaissaient absolument pas dans ce portrait. Normal: les sondages sont des instruments de mesure qui servent à brosser des portraits de groupes, pas d’individus.

D’autres ont carrément grimpé dans les rideaux. Elles ne comprennent pas pourquoi nous avons publié ces résultats, se disent déçues de nos conclusions, et nous accusent de jouer le jeu «du pouvoir et de la bourgeoisie»…

Je pense entre autres à ce lecteur qui nous a envoyé ce courriel, suite au dévoilement des résultats du sondage au Point, le 16 février:

«En bons journalistes des médias dominants et alliés de la bourgeoisie, Richard Martineau, François Desmeules [rédacteur en chef de Voir Québec] et Stéphan Bureau se sont empressés de lire le sondage sur les jeunes d’une façon conservatrice. Enjoués de voir que les jeunes ne s’arment pas pour faire la révolution, ils ont avancé des conclusions douteuses sur leur sondage. (…)

Leurs jugements dits très éclairés doivent être remis en question. Manipulent-ils le songage ou le lisent-ils vraiment? Prennent-ils leur propre conservatisme pour celui des jeunes? Par ailleurs, un sondage demeure un sondage. Et un sondage n’est pas la réalité! Il ne nous faut pas prendre des vessies pour des lanternes!»

Ainsi, selon certains lecteurs, nous aurions dû enterrer ce sondage six pieds sous terre et ne jamais le publier, parce qu’il nous renvoie une image décevante de la jeunesse québécoise.

52 % des jeunes qui sont contre la légalisation du pot, c’est pas beau. 72 % des jeunes qui ne s’impliquent dans aucune cause, c’est mensonger, ça ne correspond pas à «la réalité». Tout le monde sait que les jeunes militent tous, qu’ils font tous du porte-à-porte durant leurs temps libres, et qu’ils passent tous leurs week-ends à fabriquer des cocktails Molotov en vue du prochain Sommet…

Dire le contraire relève de la propagande fasciste!

Si les résultats de notre sondage étaient allés dans le sens voulu (c’est-à-dire: 72 % des jeunes s’impliquent dans une cause, 75 % se disent fortement endettés et 52 % appuient la légalisation des drogues douces), ces lecteurs auraient brandi le journal en criant: «Bravo! Génial! Fantastique!»

Mais voilà, ce n’est pas le cas. Alors on fait la moue et crie au complot néolibéral…

Ça me fait penser à certains artistes.

Quand les médias trouvent leur dernier show génial, ils pleurent de joie et disent que les critiques sont essentiels à la vitalité de la vie culturelle. Mais quand les médias trouvent leur dernier show pourri, ils montent sur leurs grands chevaux et disent que les critiques sont des parasites dénués de toute crédibilité.

«Tu m’aimes? Dieu, que t’as du goût!»

«Tu ne m’aimes pas? T’es un raté fini qui n’a jamais rien compris.»

Vieille rengaine…

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Savez-vous pourquoi les firmes de sondages se portent aussi bien? Parce que tous les groupes commandent des sondages: syndicats comme patronat, organismes d’entraide comme chambres de commerce, ONG comme PME.

Ils commandent des sondages en espérant que les résultats aideront leur cause et apporteront de l’eau à leur moulin. Et quand ce n’est pas le cas, ils les jettent à la poubelle ou les brûlent dans leur sous-sol.

Les dépotoirs du Québec sont remplis de sondages qui n’ont jamais été rendus publics, parce que jugés trop «négatifs».

À Voir, nous avons commandé un sondage sur la jeunesse, et nous avons décidé d’en publier les résultats, qu’ils aillent «dans le bon sens» ou non. Certaines réponses vous ont déçus? Nous aussi. Comme vous, on aurait aimé se faire dire que les jeunes sont tous altruistes, progressistes, impliqués; bref, de la graine de Simonne et Chartrand. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Ils sont comme tout le monde, ni plus ni moins exceptionnels, des enfants de leur époque…

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À la télé, cette semaine, on a pu voir deux images de la jeunesse: des jeunes cravatés qui discutaient business avec le ministre Legault; et des jeunes anarchistes qui lançaient des boules de billard aux flics.

Lequel de deux groupes représente «les jeunes dans leur ensemble»? Aucun.

«Les jeunes dans leur ensemble» faisaient comme vous et moi: ils regardaient ce cirque à la télé. En hochant la tête.