Prise de tête

Vers un front uni de la gauche?

«Ils ont voté. Et puis, après?» demandait sagement Léo Ferré. On devrait toujours écouter les poètes. Qu’y aura-t-il donc, en effet, après?

Pour ses nombreux acteurs et partisans, dont je suis, c’est au printemps érable, à l’aune de cette formidable onde de choc qu’a connue la société québécoise, que les résultats des élections d’hier doivent être examinés.

Le bilan de ce mouvement n’est pas négligeable: il a inscrit de nouvelles aspirations politiques à l’ordre du jour, il a fait émerger de nouvelles solidarités au sein de la société québécoise et mis au jour des fractures sociales dont beaucoup ignoraient l’existence. Mais par-dessus tout, ce puissant révélateur a fait découvrir à de nombreuses personnes le – et non pas la – politique.

Le défi est aujourd’hui d’inscrire tout cela dans la durée et donc de faire en sorte que les grandes eaux du politique ainsi libérées ne soient pas endiguées, ni par la répression, ni par le découragement, ni, bien entendu, par la politique. Que nous disent de ce point de vue les résultats des élections d’hier?

Pour commencer, la hausse du taux de participation en est l’indice, il semble clair que certains printemptistes ont choisi la voie électorale. Ils ont donc voté: pour certains pour le Parti québécois; pour d’autres pour Option nationale; pour d’autres encore pour Québec solidaire. (On me dit qu’un printemptiste aurait voté PLQ ou CAQ: mais il ne le sait plus très bien lui-même, puisque c’était par inattention.)

D’autres printemptistes se sont abstenus, pour certains par refus réfléchi de céder à ce qu’ils perçoivent comme la grande mystification électoraliste. Tous ceux-là poursuivront, souvent aux côtés des premiers, leurs engagements dans de nombreuses luttes sociales, économiques ou autres, luttes menées à travers quantité de regroupements, associations, syndicats, etc., et par une pléiade de moyens divers.

Je pense qu’un des grands défis du prolongement du printemps érable, de son inscription dans la durée, est aujourd’hui de trouver entre toutes ces personnes des points communs à partir desquels une entente est possible quant à certains objectifs à viser.

Les combats que les individus, organismes, partis, regroupements concernés mènent en propre se poursuivront, selon les moyens qu’ils jugent appropriés: ici contre la pauvreté et l’exclusion sociale; là contre les atteintes aux droits des réfugiés, ou des chômeurs, ou des prestataires de l’aide sociale; là encore pour pousser le gouvernement (ou son propre parti) vers des mesures plus progressistes ou en faveur de l’indépendance; et ainsi de suite. Mais une sorte de plate-forme serait aussi convenue entre tous et toutes pour former un front commun de la gauche où les axes des combats à mener conjointement seraient définis.

L’intérêt de cette démarche tient à mon avis à son caractère fédérateur, à sa capacité à mobiliser dans l’action toutes les personnes concernées et à ce qu’elle donne présence et crédibilité à une voix qui parle pour de très nombreuses autres voix, à sa capacité en somme à faire un nous de ces je conjugués. Ce que cela nous dirait est simple: voici les choses sur lesquelles nous ne ferons pas de concessions.

Quelles devraient être les priorités de ce front commun?

J’en verrais pour ma part trois – mais ce ne sont bien entendu que des suggestions et les entités concernées arriveront à leur propre plate-forme.

Pour commencer, la défense des institutions publiques travaillant au bien commun et par lesquelles l’État peut jouer un rôle de redistribution de la richesse et de protection de la dignité de chacun, la protection, donc, de ce modèle social honni par les maîtres et qui s’incarne notamment par des mécanismes de protection sociale, par l’accessibilité pour tous et sur tout le territoire à une éducation et à des soins de santé publics, de qualité et gratuits.

Ensuite, au moment où se prépare la grande gabegie de nos ressources naturelles (gaz de schiste, Plan Nord, Anticosti), la défense du patrimoine collectif en veillant à ce que son éventuelle mise en valeur se fasse dans l’intérêt commun, tant économique qu’écologique.

Enfin, la promotion d’un modèle électoral plus démocratique et plus représentatif des préférences des électeurs. On sait en effet (c’est le théorème d’Arrow, pour les curieux) qu’il n’y a pas de manière parfaite d’agréger les choix individuels pour dégager une préférence collective. Mais il y a des manières de le faire meilleures que d’autres. Or, notre modèle électoral est une insulte tant à l’intelligence qu’à la justice: il suffit pour s’en convaincre de regarder les résultats d’hier. Il nous faut donc adopter un autre mode de scrutin, à mon goût proportionnel et avec vote préférentiel.

Bien du travail en perspective, certes. Mais voici un atout précieux: ce gouvernement, parce qu’il est minoritaire, sera particulièrement sensible aux pressions qu’on exercera sur lui.