Prise de tête

Scrooge 2013: la chronique dont vous êtes le héros

Le Noël de l’an 2013 approchait et M. Scrooge, le célèbre et richissime homme d’affaires canadien, était de passage au Burkina Faso, où son entreprise possédait des mines.

Son séjour avait été profitable et il avait pu régler de nombreux problèmes, en particulier celui de l’approvisionnement en eau de la mine: l’eau est en effet là-bas une ressource rare et dont l’extraction d’or fait une très grande utilisation, à tel point que la population locale voit son eau rationnée, ce qui suscite sa colère. M. Scrooge avait donc fait jouer ses contacts politiques avec la capitale, offert quelques petits cadeaux aux autorités locales et obtenu l’assurance que l’armée interviendrait en cas de besoin. Il pouvait donc repartir tranquille.

Il ne lui restait qu’une nuit à passer en Afrique avant de rentrer chez lui. Il avait très hâte. Il détestait intensément l’Afrique.

En sortant de la mine, au moment de rentrer dans la Jeep dont le chauffeur tenait la portière ouverte, un homme noir, surgi de nulle part, le saisit par le bras et le regarda intensément. L’homme ne dit rien durant quelques secondes d’éternité, se contentant de regarder Scrooge dans les yeux comme s’il lisait en lui comme dans un livre ouvert. Le chauffeur s’interposa enfin et l’homme prit la fuite.

Durant le trajet, le chauffeur semblait nerveux. Interrogé, il finit par dire que l’homme était une sorte de sorcier, à la fois craint et respecté, qui fabriquait de célèbres et puissants grigris.

Arrivé à l’hôtel, Scrooge mangea un repas qu’il trouva à peine convenable, puis se mit au lit très tôt, en prévision du long voyage du lendemain.

Il eut bientôt l’impression que quelqu’un se tenait derrière les rideaux de la chambre. Il se leva. Ce n’était pas un être humain, mais un fantôme qui lui annonça qu’il recevrait trois visites durant la nuit et qu’il était la première.

Scrooge, étrangement, ne ressentait aucune peur et tout cela lui semblait entièrement naturel.

Le fantôme le ramena à ses débuts en affaires et lui montra son long parcours. Il se revit, tout jeune, rachetant des entreprises en faillite, les restructurant, les revendant, recevant des aides financières de l’État, construisant un empire, l’étendant au monde, le diversifiant. Il se revit délocalisant, achetant des journaux pour y défendre ses idées économiques et politiques. Il vit aussi ces ententes conclues largement en secret entre transnationales et gouvernements. Le fantôme voulait qu’il y vît des contradictions, des tensions, à tout le moins des difficultés qui sont celles de l’époque et de ses institutions, qu’il s’en émeuve, qu’il s’interroge. Rien n’y fit. «J’ai créé de la richesse, disait Scrooge. Quand le niveau de l’eau monte, tous les bateaux, même les plus petits, s’élèvent aussi. Et puis, ce que j’ai fait, tout le monde l’aurait fait à ma place et j’aurais d’ailleurs été impitoyablement éliminé du jeu des affaires si je n’avais pas fait ce qui devait être fait.»

Le fantôme était secoué par cette froide et calculatrice indifférence. Il ramena donc Scrooge à son hôtel où celui-ci se rendormit l’âme en paix. Pas longtemps. On frappa bientôt à la porte. Il se leva pour ouvrir. Comme il s’y attendait, c‘était le deuxième fantôme.

Il lui montra la pollution causée par la mine et par ses autres entreprises, lui expliqua longuement les externalités négatives, lui montra la misère de tant de ses employés, lui parla des détournements de fonds, de la corruption, des paradis fiscaux, des innombrables déductions fiscales, des inégalités économiques et de leurs effets, des nombreuses infrastructures de son pays en ruines malgré la supposée richesse créée. Scrooge resta de glace. Mieux: il argua que si les choses étaient parfois imparfaites, elles ne cessaient pourtant de s’améliorer et s’amélioreraient encore. Tout irait donc de mieux en mieux, grâce aux gens comme lui qui créent de l’emploi et de la richesse. Au grand désespoir du fantôme, Sgrooge plaida même qu’un profond altruisme l’animait. Le deuxième fantôme, lui aussi désespéré, le ramena à l’hôtel où il s’endormit aussitôt du sommeil de celui qui se croit irréprochable.

Il fut réveillé par le téléphone. Il crut d’abord que c’était celui de la réception qui lui indiquait qu’il devait se lever. Mais ce ne pouvait être cela, puisqu’il faisait encore nuit noire. Il saisit l’appareil. C’était le troisième fantôme. Il lui donnait rendez-vous sur le balcon. Scrooge se leva et alla l’y rejoindre.

Le troisième fantôme l’emmena dans le futur, en 2063.

Choisissez A ou B.

A. Scrooge constate, satisfait, que ses optimistes prédictions se sont pour l’essentiel réalisées. Votre partie est finie. Vous avez gagné.

B. Scrooge voit de la dévastation et d’extraordinaires inégalités sur une Terre devenue presque inhabitable.

Choisissez 1 ou 2.

1. De retour à l’hôtel, bouleversé, il appela sa femme et une nouvelle vie, militante, commença pour eux.

2. De retour à l’hôtel, il finit par conclure que comme ses actions ne pouvaient à elles seules changer l’avenir, il n’en était pas plus responsable que le flocon de l’avalanche et il décida de ne rien faire. D’autant qu’un avion l’attendait…