Prise de tête

Trois leçons sur l’évaluation

En cette période de l’année, il y a de fortes chances que les gens qui travaillent en enseignement soient en train de corriger des copies et, peut-être aussi, de se plaindre de ce qui leur semble un des aspects les moins agréables de leur métier, souvent donné pour un mal nécessaire: évaluer leurs élèves.

On a, depuis un demi-siècle environ, fait énormément de recherches sur l’évaluation des apprentissages des élèves. On pose dans ces travaux – je mets ici de côté cette évaluation dite diagnostique, qui sert notamment à repérer les difficultés d’apprentissage et qui est un autre sujet – des questions comme les suivantes, aux réponses souvent modulées selon les niveaux, les disciplines ou le type d’enseignement:

Une évaluation juste est-elle possible? Évaluer est-il nécessaire? Est-ce seulement souhaitable? Et si oui, sous quelle forme? Quels périls guettent toute évaluation dans ses principes, ou dans sa mise en œuvre, ou dans ses effets? Faut-il privilégier des évaluations formatives ou plutôt sommatives? Et si oui, dans quelle proportion? Faut-il préférer des évaluations portant sur des réalisations individuelles ou sur des travaux d’équipes? Est-il sage d’utiliser des portfolios? Faut-il noter par chiffres ou par lettres? Vaut-il mieux poser des questions ouvertes, à choix multiples, semi-objectives?

On le devine: les problèmes soulevés par tout cela sont nombreux et, pour certains d’entre eux, graves et lourds de conséquences. Je ne peux évidemment pas les aborder ici. Mais je voudrais malgré tout porter ici à votre attention trois idées qui me semblent vraies et importantes et qui méritent pour cela d’être mieux connues.

Évaluation et enseignement

La première est conceptuelle et prend la forme d’un argument dû au philosophe Anthony Flew. Je le résumerais ainsi.

Enseigner, c’est avoir l’intention de faire apprendre, et cela peut bien entendu être bien fait, moins bien fait, voire mal fait. Mais si on prend au sérieux cette intention, on voudra savoir si on a ou non réussi à faire apprendre. Évaluer ses étudiants est précisément ce qui le permet, de sorte que si on prend au sérieux le fait d’enseigner, on procédera à des évaluations des personnes à qui on enseigne afin d’apprendre quelque chose sur la valeur de notre enseignement. Cet argument, on l’aura deviné, suppose des critères de succès les plus clairs possible auxquels seront rapportés les résultats obtenus dans l’évaluation.

Il est important de noter que cet argument ne dit rien sur la manière d’évaluer ou sur les conséquences, sur qui que ce soit, des résultats obtenus: il rappelle simplement l’existence d’un lien conceptuel entre enseignement et évaluation, et que l’évaluation est par ce lien une activité nécessaire, parce qu’elle renseigne sur le succès ou l’insuccès d’un enseignement. Un ami très cher allait dans le même sens quand il disait qu’il détestait quand ses étudiant.e.s échouaient parce qu’alors, en partie au moins, il échouait lui aussi, avec eux.

Une précieuse leçon de la recherche empirique

La deuxième idée que je veux rappeler est un résultat de recherche très fiable et qui pourra vous étonner: les élèves sont remarquablement efficaces pour prédire les résultats qu’ils vont obtenir à un examen, à une épreuve. En somme, ils et elles savent d’avance, avec une bonne précision et avant toute évaluation, combien ils ont appris!

Certains diront devant ce résultat qu’on se demande bien pourquoi on évalue, si du moins la seule raison de le faire est que les élèves sachent où ils en sont, et suggéreront que l’évaluation n’est qu’un instrument de domination, de hiérarchisation et de reproduction des inégalités.

Il y a une indéniable part de vrai dans ces dernières idées, qui décrivent bien une des fonctions des systèmes d’éducation. Mais il faut faire attention: car une autre importante réponse à la question de savoir pourquoi on évalue se trouve dans l’argument de Flew: on évalue aussi pour que l’enseignant (et avec lui le système scolaire) sache ce que vaut l’enseignement dispensé.

Une autre conséquence importante de ce résultat de recherche est mise en évidence par le précieux John Hattie. La voici en mes mots. Ces élèves, qui savent si bien estimer les résultats qu’ils auront lors d’une évaluation, se fixent aussi pour eux-mêmes des buts, ont pour eux-mêmes des attentes. Les enseignantes devraient en profiter pour faire en sorte que les élèves haussent les objectifs qu’ils se donnent. Enseigner ne devrait pas simplement viser à ce que les élèves atteignent leurs objectifs, mais faire en sorte qu’ils aillent au-delà des cibles qu’ils ou elles se donnent, faire en sorte qu’ils s’en donnent de plus élevées. Vaste mais crucial programme.

L’exemple finlandais

La troisième idée que je veux rappeler nous vient de Finlande.

Elle repose sur cette idée déjà évoquée que l’évaluation renseigne sur la qualité de l’enseignement et sur la valeur du système qui le dispense. Elle a donc une valeur pour l’enseignant, mais aussi pour le pilotage du système scolaire.

À ce propos, la manière dont la Finlande recueille et utilise les résultats des évaluations est intéressante. Pierre Merle explique: «Pilotée de façon centralisée, l’évaluation standardisée [en Finlande] permet d’identifier les établissements dans lesquels, en moyenne, les résultats scolaires des élèves sont plus faibles. Ces résultats […] ne sont pas publiés. Seules les équipes pédagogiques des établissements concernés sont informées des résultats de leur établissement. L’objectif poursuivi est d’étudier les difficultés spécifiques rencontrées par les professeurs dans certains établissements et de trouver des solutions pour améliorer le niveau moyen des élèves. L’évaluation standardisée a ainsi une finalité formative.»

En lisant ces mots, je n’ai pu m’empêcher de penser à toutes ces raisons de douter de la valeur de certaines évaluations nationales menées par le MELS qui ont été soulevées au fil des ans, en me disant que des occasions de récolter de précieuses informations pour le pilotage de notre système scolaire ont peut-être été de la sorte perdues. J’aimerais me tromper sur ce point…

Sur ce, chères collègues et chers collègues, bonnes corrections. 

Une lecture: Pierre Merle, faut-il en finir avec les notes?