Prise de tête

La réforme: sur un débat nécessaire, mais qui n’a pas eu lieu

Amoureux d’une jeune femme juive, un goy est fou de joie quand elle accepte de l’épouser. «Toutefois, lui dit-elle, tu devras te faire circoncire.»

C’est une condition que l’amoureux accepte volontiers, mais qui l’inquiète tout de même un peu.

Il va donc consulter son ami Samuel pour lui demander si l’opération est douloureuse et si elle a des effets secondaires.

Samuel lui répond: «Pour les douleurs, je ne sais pas; j’ai été opéré à huit jours. Par contre, je dois te le dire, j’ai été incapable de marcher pendant toute l’année qui a suivi».

La blague fonctionne en entretenant cette dangereuse confusion entre succession temporelle (ou corrélation) et causalité.

On ferait bien de s’en souvenir lors de l’indispensable conversation collective que nous devons à présent ouvrir sur la réforme de l’éducation. La question est complexe, et l’enjeu si important, que nous ne pouvons nous permettre des simplifications abusives.

Attribuer essentiellement les piètres résultats de la réforme aux enseignant.e.s et aux syndicats, comme on a, ici et là, commencé à le faire, en est une; refuser d’en reconnaître les éventuels mérites en serait une autre.

Mais ce n’est pas de ce débat à venir que je veux parler cette fois, mais bien de celui d’hier, qui n’a pas réellement eu lieu parce qu’on n’en a pas permis la tenue. En y revenant, je pense qu’on apprendra de précieuses leçons pour le débat à venir.

Sur un débat interdit

Quand la réforme est lancée, plusieurs y voient un détournement des États généraux et considèrent qu’à une forte demande de rehaussement culturel de l’école, on a répondu par une mutation pédagogique.

Quand ils examinent celle-ci de près, surtout dans sa première mouture, ils sont catastrophés. Pour ma part, j’y vois, comme eux et elles, des confusions conceptuelles et des présupposés philosophiques bien contestables. J’y vois aussi des prises de position didactiques et des prescriptions pédagogiques qui sont sur plusieurs plans largement contraires aux résultats de la recherche crédible et aux enseignements des sciences pertinentes sur la question (sciences cognitives, psychologie).

Cela me semble grave. Je joins donc ma voix à celles de quelques autres et avec elles je tente de dire tout cela. Mais la chose est extrêmement difficile et l’entreprise s’avère même périlleuse.

Ce qui s’est alors passé, à répétition, pour des tas de gens, dont moi, ce sont trois phénomènes intrigants.

Le premier est la troublante découverte que si nombre de réformateurs ne citaient pas cette littérature scientifique dans leurs écrits, c’était possiblement qu’ils ignoraient ce qu’elle disait. Je le dis en toute sincérité: c’était un phénomène assez répandu et profondément choquant. Un exemple en donnera une idée.

Le projet Follow Through est une des plus coûteuses et des plus sérieuses recherches jamais menées en éducation. Elle donnait, pensaient certaines personnes, de bonnes raisons de prédire que la réforme ferait fausse route. Était-ce exact? Peut-être pas. Mais voilà en tout cas un sujet dont on pouvait, dont on devait débattre. Mais si vous vouliez ouvrir ce débat, vous découvriez que cette recherche était étonnamment inconnue de bien des réformateurs avec qui vous vouliez en parler. J’en suis venu, par dépit, durant ces années, à souvent lancer à la blague à certains réformateurs que vouloir réformer l’éducation sans connaître Follow Through, c’était un peu comme prétendre renouveler l’exploration spatiale, mais sans jamais avoir entendu parler du programme Apollo. Ça n’a pas beaucoup fait rire…

Le deuxième phénomène est ce qu’il faut bien appeler le refus du dialogue des réformateurs, leur refus de simplement considérer les objections qu’on leur faisait. Il fallait faire partie du cercle des croyants. Tout alors allait pour le mieux. Mais si vous n’adhériez pas à ce qu’on vous demandait de croire, si vous demandiez des preuves, si vous le contestiez ou simplement le remettiez en question, fut-il en invoquant des arguments que vous pensiez très solides, alors rien n’allait plus. En un mot comme en mille: on était souvent bien loin d’une saine conversation pédagogique ou d’un débat serein sur de cruciales politiques publiques. C’était, littéralement, le règne du crois ou meurs. N’y a-t-il pas lieu, aujourd’hui, de revenir sur ce que les critiques de la réforme avançaient à l’époque pour constater ce qui s’est avéré juste ou faux et d’en tirer les conséquences? De revenir sur ce que les réformistes promettaient et qui est ou n’est pas arrivé et d’en tirer les conséquences? C’est ce qu’on ferait en science, en tout cas…

Ce qui m’amène au troisième phénomène que je veux pointer du doigt. C’est que certains de ces réformateurs, au ministère, dans les facultés d’éducation, dans les commissions scolaires et dans les écoles, étaient en position d’autorité et pouvaient sanctionner les mécréants. Ils ne s’en sont pas toujours privés, avec ce résultat que nombre de personnes, d’enseignant.e.s notamment, se sont tues et ont ravalé leurs objections.

Nous pouvons, nous devons faire mieux.

Au moment de débattre de la réforme et de l’avenir de notre système d’éducation, je nous souhaite donc un débat plus riche, plus serein, une plus grande ouverture et surtout une discussion plus et mieux informée, dans laquelle la vérité d’une proposition ne se décidera pas sur l’autorité, institutionnelle ou autre, de qui l’avance.

Appel à témoignages

En attendant, je lance un appel à mes lecteurs et lectrices.

Et vous? Avez-vous eu durant toutes ces années d’implantation de la réforme le sentiment de ne pouvoir dire ce que vous pensiez vraiment? Avez-vous été sanctionné pour l’avoir fait? Avez-vous été témoin de faits de cet ordre?

Racontez-moi cela en toute confidentialité à:

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