Solo de clavier

Avec du beurre, c’est bien meilleur!

Prêter sa musique à une campagne publicitaire: sempiternel tabou ou nouveau tremplin?

En 2012, le rappeur Macklemore se distinguait en livrant The Heist, un album indépendant aux textes engagés salué autant par la critique que par le grand public. Cette semaine, on apprenait que le MC avait modifié son hit Wing$ – une salve contre l’emprise de la marque Nike – pour en tirer une version proprette destinée à une pub… de la NBA.

Depuis toujours, un stigmate colle à la «location» d’une pièce, surtout quand elle est scotchée à une pub. Alors que l’étiquette «vendu» (ou «sell out», pour reprendre l’expression populaire) pouvait s’accrocher longtemps au perfecto clouté d’un artiste qui se veut tout sauf pop, de plus en plus de monuments – dont Iggy Pop et Johnny Rotten qui sont allés jusqu’à participer à des réclames pour du beurre et des assurances automobiles! – disent finalement oui aux publicitaires. Changement de paradigme? Conséquence de la crise du disque? Le gars des Sex Pistols aime vraiment les dérivés du lait à ce point!? Jeff Waye et Patrick Curley, de Third Side Music, une entreprise qui se spécialise dans l’édition musicale, tentent de m’éclairer…

«On dit buying in (se faire acheter) maintenant», plaisante Patrick – musicien et avocat de formation – avant d’ajouter que «l’infamie, très populaire au cours des années 1990, s’est estompée au fil des années». Bien sûr, les déboires de l’industrie font fléchir, alors que les sommes, elles, sont de plus en plus alléchantes («Les montants versés pour certaines campagnes peuvent équivaloir à l’argent récolté par la vente de milliers de disques!» glissera Curley au passage); ce qui contribue à la mouvance, mais Curley pointe aussi en direction des publicitaires. «Le monde de la pub n’est plus aussi fermé que celui de la radio, qui demeure formaté. Ainsi, on constate que certains artistes indépendants préfèrent prêter leurs chansons à des publicités – ce qui est lucratif et permet, du même coup, de faire connaître leurs pièces – plutôt que de conformer leurs créations au format radio dans l’espoir d’y jouer.» Vu comme ça, en effet, «se vendre» semble être un moindre mal.

«Et la publicité peut aussi stimuler les ventes», interjette Jeff. Le duo reviendra notamment sur le cas d’un de ses clients – Radio Radio – qui s’est distingué en prêtant sa pièce Jacuzzi pour une pub de Telus (celle avec les hippopotames hyper mignons!). «Non seulement tout le monde s’en souvient, mais elle était diffusée alors que le Canadien était en finale. Ça jouait donc à la planche sur RDS, que tout le Québec regardait. Eh bien, cette pub a généré entre 30 000 et 35 000 achats en ligne de cette chanson-là!» fait valoir Waye, tout en indiquant qu’on compte de plus en plus de sites Web répertoriant les musiques entendues dans des pubs ou encore sur les trames sonores de séries télé, de films et de jeux vidéo.

Ainsi, bien que le keupon de polyvalente en moi sentait son cœur se tordre en visionnant la publicité où Johnny Rotten (sûrement une des plus grandes teignes de l’histoire du rock) vante (avec le sourire, bordel!) les mérites d’une livre de beurre, je me consolais en lisant, des mois plus tard, que l’argent – et le buzz – généré par la campagne allait relancer Public Image Limited, son fameux violon d’Ingres post-punk. Est-ce vraiment un péché pour Karkwa ou Malajube de louer une pièce à Coke ou à Dell si ça peut financer un album à la hauteur de leurs (et nos) espérances?

Et si, dans le fond, c’était nous, les mélomanes, qui étions non seulement acheteurs de musique, mais aussi vendus à des idéaux qui tiennent plus de la science-fiction que de la réalité entourant la business de la zizique?