Solo de clavier

Piratez cette chronique!

«Téléchargement» d’un constat du piratage local…

Pied de nez ou mélomane hautement influençable? M’enfin, j’ai tout de même piraté Steal This Album! de System of a Down. Pourquoi? Parce qu’en 2002, j’étais (un peu plus) pauvre et parce que mes amis m’en disaient le plus grand bien (ils ont, évidemment, menti… n’en déplaise aux fans du groupe).

Un peu plus d’une décennie plus tard et quelques ressources en moins (Napster et MegaUpload, notamment), les mers du piratage se sont calmées. The Atlantic et plusieurs autres médias confirment qu’en 2012, les ventes de musique ont fait un bond de 0,3% – le premier depuis 1999! – et que cette mouvance est attribuable à la chute de ces agissements suspects, mais aussi au développement de solutions de rechange conviviales (écoute en ligne à la Rdio, plateformes permettant la diffusion et l’achat de pièces comme Bandcamp, etc.). Mieux encore, une étude signée par des chercheurs de l’Université du Minnesota et du Wellesley College révèle que le téléchargement illégal de films n’a pas d’impact sur la consommation en salle. Bref, le piratage demeure, mais ne vogue plus en surface… du moins, pour le moment.

Selon Dominic Morissette, de Police du Net (une entreprise québécoise qui protège le contenu de ses clients du piratage), cette activité interlope est loin d’être en dormance et s’est même taillé une place de choix ici. «Des sites populaires comme Torrent 411 et Kickass Torrents sont hébergés ici même. Je dirais même que c’est plus facile de faire retirer des liens de sites de la Tchécoslovaquie ou des Pays-Bas qu’au Québec!», déplore-t-il tout en dénonçant un certain laxisme dans ce domaine. Armé d’un logiciel de sa confection qui lui permet de balayer la Toile à la recherche de sites abritant illégalement les créations de ses bénéficiaires, cet ancien pirate – à qui l’on doit aussi Broadbeat.ca, une plateforme qui privilégiait la musique urbaine – exerce des pressions auprès des webmestres et hébergeurs afin qu’ils effacent ces liens. Il concède d’ailleurs que les flibustiers sont bons joueurs, se prêtant souvent à l’exercice dans les heures suivant la demande. Ainsi, après s’être fait la main en épaulant certaines étiquettes rap lésées par des fuites du genre, Police du Net a mis le grappin sur des contrats provenant de DEP et Audiogram, notamment. «En termes de nouveautés, j’ai peut-être 60% du marché québécois!», lance-t-il, pas peu fier.

Bien que l’image d’un Wilfred Lebouthillier en larmes en apprenant le court-circuitage de son album reste toujours en mémoire une décennie plus tard, le panorama, lui, a changé depuis. Ce n’est plus le premier diplômé de la Star Académie qui serait privilégié par les maraudeurs de nos jours, mais bien des artistes associés à la musique alternative ou encore des humoristes carburant à l’hélium. «Un album avec lequel j’ai eu beaucoup de “plaisir”, c’est celui de Lisa LeBlanc, commente Morissette. Tout comme la discographie de François Pérusse, qui est aussi populaire ici qu’en France. Ça a été toute une job!»

Lorsqu’on lui demande ce qui motive nos écumeurs à piller le répertoire local, ce policier du Net surprend. Bien sûr, il y a un certain aspect pécuniaire – le trafic sur certains sites pirates rapporte quelques sous – et la notoriété au sein de ce groupuscule, mais celui-ci affirme que la majorité de ces corsaires agissent… par amour! «Beaucoup de gens veulent tout simplement partager leurs coups de cœur, avance-t-il. Ils veulent tout simplement les faire connaître.»

Une théorie à laquelle j’adhère aussi.

Durant mes années à fréquenter de près ou de loin cette culture, ces fameux forbans étaient, avant tout, d’incroyables amoureux des arts. Dans un entretien – qu’on publiera bientôt –, le guitariste de Phoenix Laurent Brancowitz me confiait que son quatuor s’amusait parfois à pointer aux fans assistant aux prestations de son groupe que ceux-ci devaient avoir téléchargé illégalement son plus récent album pour savoir les paroles des nouvelles pièces par cœur. Bien que ces derniers se soient probablement approprié ces tubes illégitimement, ils investissent tout de même dans des billets de concerts et vont même se masser dans les premières rangées pour encourager leurs formations favorites.

En ce qui me concerne, le véritable piratage – le laid, l’impitoyable, celui qui exécute femmes et enfants d’abord –, c’est lorsqu’une grosse huile de la taille de P.J. Bloom – qui supervise le contenu musical d’émissions à succès comme CSI: Miami et Glee – se demande, en pleine conférence de presse en Angleterre, pourquoi ses projets injectent toujours des fonds dans des licences de diffusion de chansons quand «la visibilité» qu’offrent ces tribunes est déjà un salaire suffisant.

L’industrie veut payer ses musiciens en «visibilité» et ce sont les mélomanes qui sont étiquetés comme étant des boucaniers, bordel!

Bien que Steal This Album! m’ait laissé pantois, j’aurai tout de même déboursé pour voir un concert de System of a Down (fort percutant, d’ailleurs). Seul bémol, le promoteur aura malheureusement exigé un versement en espèces, «la visibilité» n’étant pas une devise qui tient la route. Sale temps pour les consommateurs, les artistes et les «pirates», alors.