Solo de clavier

Trois étoiles et demie à Guy Nantel

À une certaine époque, la note «trois étoiles et demie» me faisait bondir (j’en parlais là, d’ailleurs). Des années plus tard, je réalise que j’épiais la problématique du mauvais côté de la lorgnette (ou je me console, c’est selon). Bref, bien que certains critiques font dans la politesse qui n’aide personne avec des «critiques à trois étoiles et demie», plusieurs artistes produisent des œuvres qui — malgré quelques accords tonitruants ou deux, trois jokes épicées — demeurent des œuvres à compromis artistiques, car destinées au plus grand dénominateur commun.

Sans faire de la musique, Guy Nantel a tout de même livré tout un sapristi de «trois étoiles et demie» hier avec sa fameuse capsule!

Profitant de la manne électorale, Nantel et son équipe ont mis en ligne une capsule vidéo où — pour une énième fois —, l’humoriste politisé lance des questions politiques à des quidams pour ensuite conserver les réponses les plus amusantes-avec-de-gros-guillemets. Bref, un truc pas très original (Triumph The Insult Comic Dog, Jay Walker et bien d’autres en faisaient avant lui, Jimmy Kimmel et Rick Mercer tentent également l’expérience de temps en temps), mais qui est quand même devenu — un peu, beaucoup — sa marque de commerce au fil des années… ce qui est plutôt triste, mais passons.

Viralité oblige, l’aspect promotionnel de la démarche (c’est, avant tout, une promotion pour son spectacle), tout comme son subterfuge (même si on prétend dans la capsule qu’il y avait des réponses encore plus désolantes, ça demeure un montage) ont été occultés au profit d’une espèce de chasse aux cons, voire une remise en cause de la démocratie à la «Hey! Ce monde-là peut voter, mais ils sont tellement #fail!».

Primo, si vous aviez besoin d’une vidéo de Guy Nantel pour réaliser qu’il y avait des inégalités en éducation au Québec, vous méritiez peut-être, vous aussi, de vous faire prendre au piège par l’humoriste.

Secundo, il est quand même fascinant de constater les libertés qu’on accorde désormais aux artistes politisés aujourd’hui. La relation — de famille, mais aussi d’affaires — entre le clan PKP et Loco Locass est maintenant le «punch» de blagues éculées. Il y a quelques années, si Vulgaires Machins avaient — par exemple — joués dans un concert produit par une Radio X ou une marque de bière qui n’est pas une microbrasserie, les fans se seraient pointés à l’événement avec leurs torches et leurs pics. De nos jours? Aucune idée. Comme Vulgaires Machins se nourrit des larmes des mélomanes, ils délaissent la scène ces jours-ci. M’enfin, je m’égare.

Bref, alors que Nantel se réclame d’un humour politisé, celui-ci n’hésite toutefois pas à utiliser des artifices tout aussi malhonnêtes que les «crosseurs» qu’il dénonce sur scène — tenir des vox-pop, ne garder que les réponses allant avec son intention, etc. — pour fourguer des billets de spectacle. Jusque là, ça va. C’est triste, mais ça va. L’altruisme ne paie pas le loyer, après tout. Enlevons une étoile.

Là où on en retire davantage, c’est lorsqu’on s’attarde à la démarche.

Tel que mentionné plus haut, Guy Nantel a fait du degré zéro du journalisme — arrêter des zigs pour leur poser la question du jour — sa marque de commerce. Dans la culture populaire, c’est ce qu’on retient de lui. Pas un de ses numéros enflammés. Non. On retient qu’il veut vraiment se faire inviter à nouveau à Tout le monde en parle, qu’il veut produire un Bye Bye et, surtout, qu’il tient des vox-pop qui, une fois montés, ressemblent à du Jackass pseudo-intellectuel qui suscite des réflexions comme «Ah! Le gars a répondu la mauvaise réponse à ce fait historique qu’on a vu en secondaire 4! Le Québec se meurt, LOL!».

Alors que l’humour au Québec est non seulement revitalisé en contenu (Les Appendices, Les Pic-Bois et j’en passe) qu’en procédés (le «beat the clock» de Guillaume Wagner, les spectacles «dans les deux langues» de Sugar Sammy, Mike Ward, etc.), Guy Nantel, lui, n’innove pas et fait toujours sa promotion à l’aide de vulgaires vox-pop qui aident davantage sa tournée que l’éducation politique qu’il dit vouloir promouvoir…

Ça, c’est très «trois étoiles et demie» (ça et la finale assez guimauve merci avec les enfants).

Merci à Laurie Bédard, étudiante à la maîtrise en littérature, qui aura inspirée ce billet par ses réflexions et échanges sur les réseaux sociaux. Merci aussi au collègue Joseph Elfassi qui m’a rappelé que Jay Leno faisait également dans le genre (ouch!).