Ministère amer
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Ministère amer

Le terme propagande n'est pas en vogue, vous en conviendrez. S'il l'a déjà été, on se pétera rarement les bretelles afin de qualifier notre discours de propagandiste. Pourtant, au début de l'année, un groupe d'individus formant un laboratoire d'idées dans le but «d'émettre une opinion alternative vis-à-vis de la francophonie ontarienne, par l'entremise d'interventions virtuelles et d'actions concrètes», peut-on lire sur sa page Facebook – qui compte plus de 140 amis, au moment où on écrit ces lignes -, s'accaparait le terme et tentait de lui donner une signification tout autre. Son nom? Le Ministère de la propagande.

Une référence bouleversante – et sans aucun doute amplement souhaitée de la part de ses idéateurs – au ministère du Reich à l'Éducation du peuple allemand, dont les principales tâches consistaient à contrôler l'ensemble du secteur culturel et des médias et de les mettre au service de la propagande nazie. Ça donne froid dans le dos.

Cheval de bataille

En poussant l'investigation un peu plus loin, parce que le Ministère de la propagande (MP) a décidément réussi à piquer notre curiosité, on en apprend un peu plus. Mais les informations offertes sur le Net ne sont dévoilées qu'au compte-gouttes. L'origine du groupe s'avère floue; ses membres se vautrent dans un mutisme équivoque (une entrevue téléphonique avec Voir a été poliment refusée, car le groupe ne cherche pas à attirer l'attention sur lui, mais sur ses idées); son ministre, s'il existe, ne revêt aucun visage. Et à savoir si vous pouvez assister à des réunions du MP, rien n'est moins clair: les comités se tiennent à titre virtuel. Pour l'instant.

Dans le but de lancer ce liminaire débat parmi les convives du MP qui, on l'imagine, se retrouvent deMinistère de la propagande temps à autre autour de cette belle grande table de discussion en ligne, comme un mauvais sujet de Parler pour parler, le Ministère mise sur le sujet du drapeau franco-ontarien et sa désuétude. Qualifié de galvaudé par le MP, le drapeau vert et blanc perd de sa signification. Pour y remédier, le MP a eu la brillante idée de proposer une nouvelle version dudit symbole, une mise à jour. Dans cette nouvelle mouture, le noir viendra remplacer le vert, cela dans le but de représenter une interprétation axée davantage sur la complémentarité des deux éléments principaux qu'il représente: l'Ontario et la francophonie. Tout simplement. Donc, une version noir et blanc du drapeau, plus économe et printer friendly, s'avère alléchante pour représenter la situation des francophones résidant en Ontario.

Sur ses grands chevaux

On s'en doutera, les avis discordants ont rapidement fusé de toutes parts, tant en ligne qu'auprès des différentes instances qui s'intéressent particulièrement au fait français de l'Ontario. S'attaquer au drapeau franco-ontarien n'a aucune raison d'être, clame-t-on.

La nouvelle version du drapeau franco-ontarien, tel que proposé par le Ministère de la propagande.

Pour ma part, ce qui me surprend le plus, c'est de voir qu'un groupe qui favorise la discussion à caractère social et politique ne se révèle en aucun cas conséquent par rapport aux sujets de réflexion privilégiés. Est-ce qu'il vaudrait mieux aborder des sujets plus pressants, comme la condition du français dans nos écoles franco-ontariennes? Si le débat ne se révèle être que pure provocation, est-ce que le Ministère de la propagande démontrera assez de force de caractère pour entrer dans le vif des préoccupations tout en se liant aux réalités d'une population en situation minoritaire?

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Entretien Facebook du 9 février.

VoirVous étiez au courant que le mot propagande fait peur, pourquoi l'utiliser de la sorte?

Ministère de la propagande: "Le mot "propagande" est pertinent aujourd'hui. Un message de 140 caractères sur Twitter, c'est de la propagande. Les photos, si bien choisi, que chacun place sur sa page Facebook, c'est aussi de la propagande. Une vidéo YouTube qu'on partage à tous nos amis, c'est clairement de la propagande. Aujourd'hui, quand les gens donnent leur opinion (dans les médias sociaux ou ailleurs), ils le font pour se positionner, et être perçus d'une certaine façon. Nous sommes conscient et fesons usage d'un phénomène unique dans l'histoire de la propagande sociale qui, pour la première fois, encourage les individus à pratiquer une propagande intra-sociale (entre les membre d'une société). La propagande encourage et renforce continuellement cette pratique en plaçant tant d'importance dans les réseaux sociaux. La propagande sociale est à présent un instinct de survie. Notre nom et certains éléments satiriques de nos interventions illustrent ce phénomène. Notre article sur le drapeau franco-ontarien en est aussi un bon exemple."

On assume le mot, et on espère ainsi faire réfléchir ceux qui croient faire du marketing viral, de la communication sociale ou du journalisme même! Nous faisons tous de la propagande. 

Voir: Pour que les idées atteignent un public plus grand, il est nécessaire de trouver des portes-paroles afin que le discours ne se confine pas à un public marginal. Pourquoi décider de rester anonyme?

MP: La communauté franco-ontarienne a déjà assez de portes paroles. Mais a-t-elle assez d'idées et de visions différentes? Notre désir est de rallier les gens autour d'un message et non d'une tête d'affiche. Si nos idées sont bonnes, elles seront portées par d'autres; soit dans les organismes ou dans les médias. Ils en prendront le crédit s'ils le veulent. Pour l'instant l'anonymat sert mieux notre objectif qu'un porte parole.


Voir: Comme premier sujet auquel vous souhaitiez vous attaquer, le drapeau franco-ontarien suscite de vives réactions. Pourquoi tenir ce débat quand plusieurs autres questions franco-ontariennes méritent une réflexion et un débat d'idées? Vous vouliez vous commettre dans les coups d'éclats pour susciter la réaction?

MP: Nous ne voulions pas lancer nos plus gros dossiers en étant complètement inconnus. C'était surtout pour attirer l'attention et ça semble avoir fonctionné.

Derrière son ironie, l'article sur le drapeau franco-ontarien porte un message important. Il illustre l'idée selon laquelle on peut prendre n'importe quel symbole et lui faire dire n'importe quoi. Certains artistes, par exemple, brandissent le drapeau à chaque occasion. D'autres, au contraire, décident de s'en tenir loin de peur que ce soit considéré "quétaine".

Nous étions conscient que cet article susciterait de vives réactions, surtout auprès de ceux qui prendraient la chose au premier degré. Chez certains, cela a généré des réactions très émotives, voire agressives. Ça fait jaser. Pour nous, ce fut une campagne publicitaire qui nous servira de tremplin pour la publication de dossiers plus concrêts, et plus exhaustifs. 

Voir: Quels sujets avez-vous l'intention d'aborder dans le futur?

MP: Dans les prochaines semaines, nous publieront d'abord un dossier important sur l'éducation et, ensuite, un dossier sur la télévision franco-ontarienne. Nous publierons des chroniques satiriques de temps à autres et nous commenterons l’actualité au besoin. D'autres sujets seront abordés, selon nos priorités et celles de notre réseau. Les dossiers importants seront aussi envoyés directement aux principaux intéressés. L'objectif est d'influencer les décideurs par de nouvelles idées.

VoirLes groupes d'idées marginaux ont souvent eu la réputation d'être des trouble-fêtes, des jeunes qui n'ont jamais abandonné l'attitude punk révolutionnaire. Est-ce que vous croyez que votre groupe s'inscrit comme étant marginal et révolutionnaire?

MP: Les groupes qui restent en marge n'ont qu'une vision singulière des enjeux. Ils n'analysent pas et sont souvent spectateurs d'une réalité qu'ils comprennent mal. Avec un réseau présent dans toutes les sphères de la francophonie ontarienne, nous pouvons monter des dossiers sur des enjeux de façon intelligente, réfléchie et adaptée au contexte. Nous ne voulons pas la révolution. On se révolterait contre quoi? Nous voulons moderniser les débats, faire ressortir de nouvelles idées et surtout, faire entendre d'autres voix que celles auxquelles nous sommes habitués. Nous avons le devoir de se regarder et de se critiquer. On ne devrait pas accepter n'importe quoi et n'importe quelle décision parce que c'est franco-ontarien. Ce serait l'échec de notre collectivité.