Sur le fil

À bout de bras

J’ai le cœur dans les oreilles. Couché au sol, à bout de souffle, je suis frappé d’une pensée qui vient perturber ma sérénité: «Diantre (pour ne pas utiliser un autre mot)! Mais comment vais-je aborder cette chronique?» Je ne me doute pas que j’ai sous le nez la réponse à cette interrogation. Soit. Voici donc le récit de ma sympathique traversée guidée de la rue Eddy par un vendredi soir de janvier.

Il y a longtemps que je voulais parler de la vigueur qu’elle connaît depuis quelques mois, avec l’arrivée de plusieurs commerçants conférant à la strip du Vieux-Hull une nouvelle énergie qui vient confirmer la recrudescence culturelle et économique amorcée par certains joueurs au milieu des années 2000. On pense rapidement aux fondateurs du Festival de l’Outaouais émergent ainsi qu’à l’équipe des Brasseurs du Temps.

Retournons à ma situation: couché au sol, en pantalon de jogging gris et en sueur. Je prends part à un cours intitulé Elaborythm: exploration enjouée du rythme, donné par Joël Delaquis et Tatiana Nemchin du tout nouveau studio Mouvement et qualifié d’«appel enjoué à la découverte, à l’éveil et à la transformation, basé sur la danse et les percussions, pour explorer le rythme». Si l’idée de me voir danser comme un cave parmi une classe d’étrangers ne m’enchantait guère, une fois sur place, j’ai quand même laissé tomber mes œillères, comme l’auront fait la quinzaine de cobayes, tous dans un bateau semblable. Pas le choix. Au fil des initiations, des invitations à la danse, on finit par faire la vidange du stress accumulé, des mauvaises énergies. Les piles sont rechargées, le sourire se fait facile, le pas plus léger.

Je quitte le studio avec Joël et Tatiana, qui dirigeront la visite, direction la maison de thé Cha Yi, où le proprio Daniel Tremblay et sa copine Véronique Caron-Bossé nous convient au rituel du thé comme on le ferait en Chine ou au Japon. Oubliez le thé Red Rose de grand-maman, ici, c’est une dégustation tant olfactive que gustative de plus de 170 variétés de thé que l’on nous propose. Je choisis un thé oolong et me surprend à prendre un grand plaisir à verser, à sentir et à partager le liquide à la façon d’antan, initiation que l’on pourrait comparer à la sommellerie, tant les arômes, les thés (cépages) et le rituel recoupent l’art de l’appréciation des vins.

Puis, on passera rencontrer les artisans derrière la boutique Le Local, Marc Gagné et Marie-France Roy, qui ponctueront notre visite de commentaires à propos des designers locaux ou canadiens, qui proposent tous des vêtements, accessoires ou trouvailles (je craque notamment pour une carte de souhaits inspirée de Leonard Cohen).

On terminera notre vadrouille à La Belle Verte, restaurant végétarien situé tout au bout de la rue, où Rafaële Lavoie nous sert de délectables pizzas, sandwiches et desserts végés ou crudivores. Vraiment, tout ça, c’est préparé sans cuisson? Lors du repas, la question de cette vitalité nouvellement retrouvée de la rue, grâce à ces quelques instigateurs audacieux, fait surface.

On dresse le parallèle également entre la situation du Vieux-Hull (déserté après 17h, faune indésirable) et celle qui prévalait il y a 15 ans dans le quartier Saint-Roch de la ville de Québec. Il y a une quinzaine d’années, la ville en question a mis en branle un ambitieux projet de revitalisation, question de redorer le blason de ces quelques rues qui avaient connu des décennies plus tôt des années de gloire. Ainsi, à grands coups de millions en subvention, Québec a réussi à donner un second souffle à son centre-ville.

Ici, la situation s’avère bien différente, puisque cette révolution urbaine s’opère essentiellement de la base, au rythme de citoyens qui tentent à bouts de bras (on pense à Gilberte et à son Michel qui installent eux-mêmes les décorations de Noël des cinq ou six pâtés de maisons sur lesquels se déploie la rue Eddy) de redonner à la vie du centre-ville une quelconque vigueur. Et la Ville, dans tout ça? Peu importe les intervenants interrogés, il semble que les portes closes et la tergiversation de cols blancs soient de mise. Aucun soutien.

À la fin de mon agréable visite, j’ai l’intime conviction que je n’en ai pas terminé avec ce sujet.