Théologie Médiatique

Guillaume Wagner, Laurent Paquin: aux gags et cætera

Bon, je sais. Vous en avez marre de ces anecdotes issues de la banalité du quotidien. Je vous comprends. Pourtant, la dernière fois que Jean Charest a fait un mauvais gag, vous en avez bien parlé pendant 684 jours, ce qui laisse supposer que vous en parlerez encore dans deux ans. Alors permettez-moi de réfléchir encore un peu sur ces épisodes des variétés corrosives.

Hé oui, je vais vous parler des gags de Guillaume Wagner et Laurent Paquin.

On connaît les faits. Dans un premier temps, au lendemain de l’affaire Matricule 728, Laurent Paquin mettait en ligne une chanson à propos de la principale intéressée. Une poésie avec des rimes en «ite». Les niaiseries y étaient nombreuses, du genre «ça fait 100 ans qu’elle n’a pas vu de bitte» et autres lignes en forme d’arguments ad hominem. Quelques heures plus tard, devant l’indignation généralisée – on accusait l’humoriste d’être un vire-capot, lui qui avait dénoncé l’intimidation (hé oui, encore ce mot maudit) – , Paquin retirait sa vidéo de YouTube pour en diffuser une autre, une litanie d’excuses plates. Il aurait été mal compris. Ben oui.

Cette semaine, c’est Guillaume Wagner, autre humoriste, qui se faisait passer dessus par un bulldozer. Il présentait, à l’occasion de son spectacle, un gag d’une qualité douteuse à propos de Marie-Élaine Thibert, une chanteuse si laide «qu’il devrait être déductible d’impôt de la fourrer»… Comprenez par là que ce serait, en quelque sorte, faire preuve de charité que de s’adonner à la copulation avec elle. Du gratuit assez merdique qui, selon les mots de son protagoniste, se justifierait par le contexte (c’est toujours le gros truc, le contexte!). On a compris ensuite que ce contexte, finalement, c’était de faire chier les matantes. Et hop, une couche de plus d’insignifiance. Qu’importe, il a accepté assez piteusement de retirer le gag, «par respect».

Dans tous ces cris d’indignation à propos de ces gags manqués, on a peu insisté sur le droit fondamental des créateurs de créer du nul. Et on aurait même pu se tromper en jugeant trop vite ces égratignures poétiques. En effet, le nul, découvert sous un autre jour, peut déboucher sur des kilomètres de sens, sur des prises de position fortes, dévoilant des coins d’ombre qui n’apparaissaient pas à première vue.

Pourquoi pas? On pourrait très bien égratigner Marie-Élaine Thibert en la dénonçant comme symbole de la création aplatie au niveau du divertissement préfabriqué, reproduit en série et mis en marché un peu comme on met du Paris Pâté sur les tablettes des épiceries. Évidemment, ce faisant, on se ferait ramasser par les zélotes du bon goût populaire. «On n’a pas le droit de dire de telles grossièretés, monsieur!» Ben oui, justement, on a le droit. Il en va de même pour la chansonnette de Paquin. Ben oui, il avait le droit. Il avait aussi le droit de répondre que votre intimidation à la noix, vous pouvez vous la mettre dans le fion.

Vous trouvez mon gag nul? Allez chier. C’est de la merde, vos trucs. Et fuck le contexte… Le contexte, c’est votre embourgeoisement abyssal, paf.

Mais voilà. Ils ne l’ont pas fait. Ils se sont rétractés, ce en quoi ils ont confirmé ce dont on se doutait un peu, au fond: leurs gags étaient nuls. Dans l’économie de leur œuvre, on peut très bien les retirer sans causer un réel déficit ou un débalancement de signification profond. En somme, leurs gags n’avaient aucune valeur, ils étaient gratuits, insignifiants.

C’est que ce genre de proposition artistique est elle-même mise en marché dans un système de divertissement matantisé et non au sein d’une véritable économie esthétique où la provocation peut devenir un réel trésor et un fonds de commerce inestimable. On ne pourrait pas retirer tout bonnement la Fontaine du corpus de Duchamp, par exemple, sans causer tout un débalancement de signification, au sein de son œuvre mais aussi pour toute l’histoire de l’art subséquente. De même, la version reggae de La Marseillaise proposée par Gainsbourg sous le titre Aux armes et cætera joue, dans le budget de son esthétique et dans celui de la chanson contemporaine, le rôle d’une pierre angulaire. S’il l’avait retirée devant les protestations, Gainsbourg ne serait tout simplement pas Gainsbourg, et la France un peu moins la France…

Mais voilà, n’est pas Gainsbourg qui veut, justement. Il pratiquait un art mineur, disait-il, mais un art tout de même. Dans l’économie du divertissement, le corrosif et la provocation ne sont qu’un simple emballage… On peut le changer à sa guise. L’essentiel est de trouver une place sous le sapin à Noël.

Il est bon, par ailleurs, de se rappeler cet épisode succulent de l’œuvre de Gainsbourg (car, oui, la polémique fait partie de son œuvre…). Sa reprise de l’hymne national lui avait valu de sérieuses attaques en règle, et non des moindres! L’auteur et journaliste Michel Droit, qui allait plus tard entrer à l’Académie, lui avait servi une missive dévastatrice dans Le Figaro Magazine, l’accusant de profanation! Gainsbourg lui répondait deux semaines plus tard dans un texte au titre désormais célèbre: On n’a pas le con d’être aussi Droit. Peu après, le 4 janvier 1980, lors d’un concert à Strasbourg, des parachutistes militaires s’infiltraient dans la salle pour distribuer des tracts. Gainsbourg annulera finalement la représentation et se rendra seul, sur scène, devant eux pour entamer l’hymne national a cappella… En terminant avec un bras d’honneur.

Mais ce n’était pas la fin… L’année suivante, en 1981, Gainsbourg se procurait le manuscrit original de La Marseillaise lors d’une vente aux enchères pour la somme de 135 000 francs.

«J’étais prêt à me ruiner», déclara-t-il à l’époque…

Elle est peut-être là, la différence entre l’économie purement esthétique et l’économie du divertissement. La première peut mener à la ruine tandis que l’enjeu essentiel de l’autre est de vendre des cadeaux de Noël bien emballés.

Réagissez aux propos de Simon Jodoin au voir.ca/chroniques.