Théologie Médiatique

Le spectacle de Noël

C’est la même chose tous les ans. Parent d’une petite, je dois me pointer au spectacle de Noël de l’école.

— Tu vas venir voir mon spectacle, hein papa?

— Je ne manquerais pas ça pour rien au monde. T’inquiète… C’est long?

Une heure et des poussières. Ça se passe dans une paroisse avec un nom de paroisse. Appelons-la Saint-Machin, le même nom que l’école et la Caisse populaire en face. C’est le service de garde qui organise tout ça. Cette année, on a fait les choses en grand, ils ont mobilisé le sous-sol de l’église Saint-Machin. Je suis certain que vous la connaissez, cette paroisse. Tous les Saint-Machin du monde se ressemblent.

C’est toujours un peu tout croche. J’ai chaud dans mes bottes et froid sans ma tuque. On y va par groupe. Les plus jeunes se pointent avec Fatima. J’ignore son nom en fait, mais elle est voilée et comme je parle d’une femme voilée dans une chronique, je l’appelle Fatima. Ça vous va? Vous comprenez la convention? Alors voilà, Fatima se pointe – voilée, vous l’ai-je dit? – et entame avec son groupe le Petit papa Noël le plus décrissé que j’ai entendu de ma vie. Je ne dis pas ça pour être méchant. Lorsque les enfants massacrent un classique de Noël, c’est toujours génial. Ça a quelque chose de magnifique. Le petit dans le coin gauche ne chante pas, il hurle! De bonheur sans doute. Sa grand-mère lui envoie la main. Il crie plus fort. Je vous jure, à chaque fois, je verse une larme. Déconne petit, déconne… Tu ne sais pas ce qui t’attend!

En coin de scène, il y a une autre Fatima. Elle coordonne un peu le tout, les éclairages, les changements de groupe et tous ces cossins. Une sympathique femme, comme l’autre. Elle a l’air de rigoler un max. Allez, au prochain groupe. Ils vont chanter Vive le vent. C’est pareil. La totale. Un chef-d’œuvre de démolition. Ils ont tous une tuque de père Noël sur la tête, ou quelque chose du genre. Ça me fesse au thorax. Punaise de morbleu! Une autre larme. Par chance, j’ai un mouchoir usagé dans ma poche. Il en reste un coin encore utilisable.

Le reste est à l’avenant. Un groupe de jeunes filles de sixième va faire une danse sur je ne sais quel succès du hit-parade actuel. Une sorte de vidéoclip de Lady Gaga manière art brut. Je n’y connais rien du tout, mais j’ai vu des parents sortir leur caméra. Oui, oui, ma grande, on t’a filmée, tu étais super! Fatima, toujours dans le coin, applaudit elle aussi.

Arrive celui qu’on appelle Peanut. Algérien ou Marocain, je n’ai jamais su. Ce type a un pouvoir de popularité que je lui envie un peu. Tous les enfants l’aiment. Il a un profil sportif sympathique. Il me demande toujours comment je vais en m’appelant mon ami. Ça me fait plaisir, on n’a jamais trop d’amis. Peanut donc, avec sa troupe… Il a préparé un numéro de gymnastique. Bon, il s’agit de faire des mouvements sur l’air de Gangnam Style dans le tapis. Allez, tous les parents, debout, on bouge un peu! Deux minutes, je dirais. Succès majeur. Une ovation. Je suis sérieux.

On accueille ensuite Jean et sa bande de jeunes saltimbanques. Un grand Black qui nous a concocté tout un numéro. On tourne en rond en mimant un boxeur avec comme trame sonore Eye of the Tiger. Il faut suivre le rythme, ce qui ajoute une difficulté. Ils s’en sortent assez bien.

Vient ensuite le groupe de ma petite. Là, je ne me retiens plus, je fonds. Ils nous ont préparé quelque chose d’inusité. Ils nous chantent Gros papa Noël, une parodie efficace du classique massacré un peu plus tôt. Ben oui, il est gros le père Noël et on va rigoler un peu, bon. Le tout se termine sur une immense bataille d’oreillers agrémentée de (You Gotta) Fight for Your Right (To Party!) des Beastie Boys. Son éducateur, il ne sait pas que je le sais, est un rebelle dans l’âme. Tatouages et tout. Un type super. Ma fille l’adore. Je lui dirai un jour.

J’ai zappé un peu la suite. J’étais trop ému. Je me souviens que la directrice du service de garde, avec quelques enfants, nous a présenté, pour conclure, un numéro de chorale. Ils ont chanté Mon pays de Vigneault. Succès majeur.

C’était notre spectacle de Noël cette année. J’ai remis mon manteau pour me parer d’un courant d’air. La petite est venue me serrer dans ses bras.

— C’était bon, hein papa?

— C’était génial. Et même pas long!

Je vous jure que dans ce sous-sol d’église de la paroisse Saint-Machin, pendant une heure et des poussières, tout ce que je suis, tout ce que je sens comme étant mon coin de patrie, se trouvait là, distillé, mijoté en quelques minutes. Il était là, mon petit bout du nous, fort de la grande beauté de l’imperfection et de l’imprévisible. Avec Fatima, l’Algérien sportif, Gangnam Style, le grand Black mimant un boxeur, Vigneault, les Beastie Boys et un enfant qui hurle une chanson devant ses grands-parents ébahis.

Accordez-moi un souhait pour Noël.

Ne touchez à rien avec vos gros doigts propres. Tout est parfait ainsi.

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Joyeux Noël à tous et bonne année! On se retrouve en janvier! Profitez!