Théologie Médiatique

La commission de l’ignorance

On a beaucoup rigolé, la semaine dernière, à l’écoute de certains témoignages devant la commission parlementaire portant sur la Charte des valeurs québécoises. Il y avait de quoi. Entendre Sylvie Bergeron, une psychosociologue-machin, nous entretenir sur l’importance de la nudité pour mieux comprendre le droit romain, ça faisait une bonne blague. Il en allait de même pour Michelle Blanc, experte en je-ne-sais-plus-quoi y aller de ses approximations personnelles sur des questions de religion. Cette fois-ci, on a eu droit à la mythologie de l’ananas et du piña colada. De la nourriture pour la rate. La palme revenait cependant à cette famille, les Pineault-Caron, venue raconter ses péripéties de touristes au Maroc, bouleversée par la prière musulmane et autres souvenirs de voyage. Les Pineault-Caron avaient cependant l’avantage, eux, de n’être experts en rien. Ils étaient là, sans prétention. Seulement inquiets et ignorants.

Du drôle, donc, mais du triste aussi. Du très triste duquel on rit tout bonnement, pour chasser le malaise peut-être.

Car ces quelques exemples de témoignages ahurissants démontrent le chemin que nous n’avons pas parcouru depuis les dix dernières années. Plus encore depuis la commission Bouchard-Taylor qui s’était penchée, en 2007, sur la problématique des accommodements raisonnables qui durait au moins depuis l’affaire Multani qui s’était rendue jusqu’en Cour suprême.

On en est au même point, au fond. Une grande soupe où tout mijote dans un bouillon opaque. Turbans, prières, kippas, tchador et voiles épicent un discours où se mélangent les accommodements raisonnables, les souvenirs de voyage, les menus de cabanes à sucre, les vitres teintées, la saucisse merguez, le terrorisme, la foi, l’intégrisme, le «purelainisme» bien de chez nous et autres curiosités du moment.

À observer la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui, tout laisse croire que de manière générale, la politique – du moins telle qu’elle nous apparaît en cette ère du clip idéologique – ne peut d’aucune manière intégrer un programme pédagogique digne de ce nom. On pourrait même dire que «sciences sociales» et «discours politique» sont deux activités qui s’excluent.

Et c’est bien cela qui est d’une tristesse inouïe. Ce n’est pas tel ou tel propos, telle ou telle idée bizarre ou notion saugrenue soutenue par des intervenants qui causent le malaise le plus profond. C’est plutôt de constater que devant toutes les incompréhensions que nous avons pu déceler il y a longtemps déjà, rien n’a été entrepris pour informer la population. Les craintes fondées sur l’ignorance demeurent vives, apparentes, ouvertes. Et la peur est la mère de toutes les intolérances.

Or justement… Informer, c’est aussi rassurer. À ce titre, le spectacle de la commission parlementaire met en relief un échec lamentable. Certes, il y a bien quelques experts bien renseignés capables de livrer de solides analyses et des réflexions qui dépassent les lieux communs. On pense volontiers à Michel Seymour, par exemple. Mais sinon quoi? Comment se fait-il qu’après toutes ces années, un tel exercice ressemble toujours autant à un sketch d’Infoman?

À ce titre, il est nettement insuffisant de blâmer le PQ. Les libéraux avant eux n’ont jamais eu le désir de mettre quoi que ce soit en branle à la suite du rapport Bouchard-Taylor. Leur valse-hésitation d’aujourd’hui n’est que la conséquence d’un laisser-aller en ces matières.

Mais le grand piège que le PQ s’est lui-même tendu – et les blessures qu’il implique dépassent de loin quelques éventuelles victoires ou défaites électorales –, c’est qu’il a entrepris d’affirmer la laïcité de l’État tout en faisant de cette notion un levier nationaliste. On a parlé d’une stratégie électoraliste. Il s’agit dans les faits d’un programme idéologique qui ne vise pas à faire comprendre, expliquer et renseigner, mais bien à convaincre. Il s’agit ni plus ni moins que d’un spot publicitaire.

Il est désolant de voir que depuis la commission Bouchard-Taylor, nous avons investi nos énergies et nos ressources financières dans de telles campagnes pour en arriver là. Nous en sommes aujourd’hui, encore, à étaler sur la place publique la somme de toutes nos ignorances, et le ministre Drainville semble tout bonnement s’en satisfaire, comme si nous progressions ainsi avec optimisme et bonhomie vers quelque chose de rassurant.

Dire que lors de notre dernière crise sociale, nous parlions de l’importance de l’éducation. À regarder cette commission parlementaire, on a peine à imaginer une démonstration plus patente de la nécessité d’investir massivement dans le savoir.

En attendant, nos impôts font du chemin…

… un chemin de croix.